Introduction

J'ai eu, dans ce mémoire, la volonté d'étudier la télévision non pas avec les yeux d'un journaliste comme c'est trop souvent le cas, mais avec celui d'un historien. L'Ordre nouveau de la BRT se prête fort bien à cette analyse d'autant plus qu'il s'agit d'une série qui se veut historique. C'est à dire plus qu'une simple étude historique sur une émission TV, le caractère particulier de celle-ci fait que mon mémoire est également un travail historiographique. 

Le grand mérite de Maurice De Wilde fut d'avoir sauvé des témoignages qui pourront être réutilisés quand dans 20 à 30 ans, les archives des procès d'épuration seront disponibles. Et donc : avoir accès à la version des accusés de l'épuration et pouvoir faire la comparaison entre les deux versions espacées de 40 ans qu'ils donnent de leurs motivations. Ces interviews peuvent aider à étudier l'idéologie et l'histoire des collaborateurs APRES LA GUERRE, plus particulièrement leur devenir.

Alors, on peut se poser la question de savoir si l'histoire et la TV peuvent faire bon ménage. En fait je crois que la TV est un support d'information trop éphémère pour marquer réellement le grand public. Voyez par exemple le désintérêt des jeunes téléspectateurs pour l'émission. D'un autre côté et c'est un point que personne ne niera, Maurice De Wilde a permis la sauvegarde de nombreux témoignages bien qu'il semble que beaucoup d'autres témoins se méfient maintenant des enquêteurs de la BRT La série pour être réellement utile et utilisable doit être accompagnée de la publication d'ouvrages scientifique et surtout de la publication intégrale des interviews réalisées par Maurice De Wilde (au moins pour les universités).

Nous nous limiterons à l'étude des réactions du public, des médias et des groupes de pressions francophone. En effet il y a un an Christiana TRUYEN a rédigé un mémoire pour la faculté de sciences sociales (département de sciences politiques) de la KUL intitulé De Nieuwe Orde. Kritische analyse van de persreactie in de Belgische nederlandstalige pers. Il est donc inutile de refaire son travail. Toutefois, nous serons fréquemment amené à revenir à la première diffusion de la série à la BRT D'abord parce que les principaux groupes (officiers, léopoldistes, associations patriotiques) vont réagir à L'Ordre nouveau dès 1982. Ensuite parce que les événements annexes (lettre du Roi, article d'Esméralda) ou marquant (interview de Léon Degrelle ou de Robert Poulet) de L'Ordre nouveau eurent lieu à cette date et mobilisèrent les plus haut personnages du pays. C'est ce que nous appellerons Le Passif de L'Ordre nouveau car le public francophone n'est pas ignorant des polémiques entourant la série quand elle est diffusée par la RTBF en 1984.

Auparavant nous allons étudier L'Origine de L'Ordre nouveau et quelques sujets tournant autour de la personnalité de Maurice De Wilde : sa (courte) biographie, Les sources utilisées et la Méthode De Wilde. Celle-ci est essentielle pour comprendre à la fois la force et les faiblesses de L'Ordre nouveau. De plus une grande partie des critiques contre Maurice De Wilde ont pour objet sa méthode et ses convictions politiques. L'Ordre nouveau va susciter des publications plus ou moins polémiques en même temps que des conférences essentiellement en Flandre.

Dans la quatrième partie de notre travail, nous étudierons Le passage de l'émission à la RTBF et surtout l'originalité apportée par Les débats. Car plus qu'un simple complément ils sont, comme le montre leurs thèmes souvent différents de l'émission qui les précède, de véritables créations indépendantes.

Enfin on se demandera quel est l'impact réel de L'Ordre nouveau, essentiellement chez les jeunes car ils sont l'enjeu d'une partie de la polémique qui se déroule autour de l'émission. Nous le verrons, savoir si Maurice De Wilde à réalisé son travail comme un journaliste où comme un historien à son importance, notamment chez bon nombre de ses contradicteurs, à tel point que nous en parlerons dans presque tout les chapitres. Signalons enfin que nous ne referons ni le travail de M De Wilde, ni celui des historiens qui étudient cette période fort riche de notre histoire.

Enfin, il est frappant de constater la persistance des clivages et des oppositions dans la presse et dans l'opinion près de 40 ans après les faits alors que les grands acteurs des événements sont morts. Je regrette d'ailleurs de n'avoir pas pu parler de la persistance actuelle du choc causé par le mariage royal (8 lettres de femmes s'insurgent contre les insinuations que les femmes seraient jalouses de Liliane)

Les réactions à L'Ordre nouveau furent de deux types : sentimentales et épidermiques pour les émissions sur Léon Degrelle, le Roi Léopold et les prisonniers de guerre non officiers. Méthodiques chez les officiers. Si ces derniers ont apportés par leur présence aux débats une incontestable animation à la diffusion de la série à la RTBF, ils y ont également amené la polémique dont n'est pas toujours sortie la vérité, ni l'apaisement. Signalons la quasi inexistence du côté francophone, des réactions aux émissions sur l'Eglise et sur Henri De Man et de désintérêt progressif pour une émission fort axée sur la partie flamande du pays.

Si pour le public âgé L'Ordre nouveau fut passionnant, le reste des téléspectateurs s'en désintéressent, excepté pour l'interview de Léon Degrelle. L'Ordre nouveau fut un succès de curiosité qui ne s'est pas confirmé par la suite, où c'est seulement un public concerné qui regarde l'émission. Nuançons cette affirmation en remarquant que le résultat est quand même honorable pour une émission culturelle.

Notons le faible intérêt de la presse de gauche en Wallonie et à Bruxelles pour L'Ordre nouveau. La Wallonie, Le Peuple et Le Drapeau rouge ne publient que le résumé des émissions et l'un ou l'autre article sans grand relief, contrairement au journal socialiste flamand De Morgen qui a consacré une cinquantaine d'articles à De Nieuwe Ordre, dont près de la moitié sont polémiques. On peut se demander si J.M. Nobre-Correia et Jean Puissant n'ont pas en partie raison quand ils affirment, ayant analysé l'attitude de la presse, notamment de gauche, après la mort du roi : "La Wallonie n'aurait-elle plus de mémoire, plus d'histoire ou plus de culture". D'autant plus que les ouvrages ou articles de revues importants écrits sur L'Ordre nouveau sont essentiellement le fait de flamands (Mark Grammens, Lode Claes, R. Bauer, ...) ou de Bruxellois (Jean Cleeremans, Yannis Thanassekos,...).

Néanmoins du côté francophone, se reconstitue très rapidement suite à la série, les clivages et les réflexes apparus lors de la Question royale. Avec en tête des opposants à Maurice De Wilde La Libre Belgique qui par ses articles recherchés, mène une campagne contre L'Ordre nouveau où reviennent sans cesse la stigmatisation des préjugés socialistes de Maurice De Wilde (qui l'amènerait à s'attaquer à l'Establishment, au roi, ...), de fréquents rappels des conduites controversées des socialistes dans les années 30-50 (Paul-Henri Spaak, Henri De Man, A. Van Acker, ...) et la justification de l'attitude de la droite dans les mêmes années.

Comme vous l'avez lu, Reste le problème de la frontière entre journalisme et histoire chez Maurice De Wilde, c'est-à-dire la réponse à la question : Maurice De Wilde est-il journaliste ou historien ? Comme nous l'avons vu même ce dernier est ambigu sur ce point et nous retrouvons cette ambiguïté tout au long du mémoire. La réponse à cette question est d'autant plus difficile à trouver que, plus qu'a Maurice De Wilde c'est à l'ensemble des émissions Histoire de la Belgique entre 1929 et 1945 qu'il faut l'appliquer.

Ce mémoire permet également de rappeler l'existence d'un grand nombre d'associations patriotiques et d'anciens de la dernière guerre militaires et civils (prisonnier de guerres, déportés, amicales de stalag, de résistant, ...) dont l'influence est importante non seulement sur la vie de ses membres (je pense notamment à la FNAPG) mais aussi sur la société en général. Il est grand temps de s'intéresser à ces associations (qui ne comptent parfois que quelques dizaines de membres) avant qu'elles ne se dissolvent et dispersent leurs archives.


Quelles furent nos méthodes de travail ?

Les sources utilisées furent heureusement nombreuses et variées. D'abord la presse. Nous avons bénéficiés du dossier de presse constitué par le Centre de recherches et d'études historiques de la seconde guerre mondiale sur L'Ordre nouveau, tant pour la presse flamandes que francophone. Bien que fort riche il du être complété par le dossier de presse établit par les éditions Duculot et par un dépouillement direct de celle-ci. Signalons que nous avons également dépouillé des périodiques d'associations patriotiques, d'anciens prisonniers de guerres et d'anciens combattants impliqués ou non dans l'émission. Mais si la presse peut apporter beaucoup de renseignements, elle n'est pas suffisante, loin de là, d'autant plus que les articles comportent beaucoup d'erreurs.

Nous avons pu également bénéficier du fond créé au centre par la session des Scripts de l'émission et surtout des lettres de téléspectateurs reçues par la RTBF après la diffusion de l'émission. Elles ont pu dans certains cas, trop rares selon nos espoirs, apporter des renseignements précieux.

Il restait alors à nous tourner vers l'équipe de production et vers les personnes impliquées dans l'affaire. Par chance l'équipe de production de L'Ordre nouveau est donc toujours en place. Nous avons pu rencontrer Maurice De Wilde, Etienne Verhoeyen et P. Van Meerbeek et trouver à la BRT des documents qui m'ont été fournis sans restriction. Seul ombre au tableau, nous n'avons pu mettre la main sur les nombreuses lettres reçues après la diffusion de L'Ordre nouveau à la BRT, par contre nous y avons retrouvés une farde contenant 76 lettres envoyées à Maurice De Wilde pendant que la chaîne francophone diffusait la série. Ces lettres ne sont pas reprises dans les collections du Centre. Nous avons rencontrés le même accueil favorable auprès de la RTBF où Jacques Cogniaux a également fournis des documents, essentiellement sur le travail du Comité scientifique pour la préparation des débats. Sans l'aide de ceux-ci et d' Adriaan Verhulst, président du Conseil d'administration de la BRT nous n'aurions pu rédiger d'importantes parties de ce mémoire.

Les interviews nous ont à la fois déçus et comblés. Déçus car s'ils sont très utiles pour les questions polémiques, ils apportent peu de renseignements précis, il est étonnant de voir comme après 3 à 5 ans, failli la mémoire des témoins, même les plus concernés. Comblés car généralement les personnes sollicitées nous ont laissés consulter librement leurs très riches archives personnelles. C'est le cas d'Albert Broekmans, Jean Bodson, Jean Cleeremans, Maurice Danse, Maurice De Wilde, Pierre Gérits, René Pappens, et de la CAOB. Nous les remercions tout particulièrement comme d'autres qui m'ont accordé un simple interview, outre les membres de la BRT-RTBF déjà cités : R. Temerzom, A. Spaak, G. Tassignon, J. Vermeire et Pierre Devos. Enfin nous avons contacté par téléphone un grand nombre de personnalités impliquées dans l'émission. Nos entretiens portaient sur des points très précis (confirmations ou éclaircissements) ou sur des questions de biographie. Je remercie toutes ces personnes et plus particulièrement Pierre Eygenraam et René Dewandre. Nous avons également contacté par lettres l'ensemble des sections d'Histoire et de journalisme des universités belges ainsi que les diverses associations citées dans ce mémoire.

Les biographies très contemporaines sont délicates à réaliser car nous n'avons pas d'instruments de travail complets tels que La Biographie nationale. Nous nous sommes donc servis du Dictionnaire des Belges, du Van Molle pour les parlementaires, du Qui est qui en Belgique francophone et du Wie is wie in vlaanderen ou bien nous avons simplement contacté directement les personne, ce qui vaut bien au point de vue fiabilité les deux derniers ouvrages cités. Nous avons identifiés les journalistes signant par des initiales grâce à L'Annuaire de la presse dans La Presse. Bulletin trimestriel de l'Association belge des éditeurs de journaux, Bruxelles, 1986 ou par les journaux eux-mêmes.

Je remercie enfin mon promoteur M. F. Balace pour les conseils et les documents qu'il m'a fournis, ainsi que ma famille et ma fiancée pour l'aide matérielle et morale qu'ils m'ont apportée.