Documentaires à la télévision belge (1953-1995). Seconde guerre mondiale et libération ...
  J.
  GREGOIRE, Les Documentaires à la
  télévision belge (1953-1995). Seconde guerre mondiale et libération, entre
  production française, production britannique et préoccupations nationales dans
  Les Médias et la libération en Europe
  1945-2005, INA-L'Harmattan, 2006, pp. 439-460 (Actes du Colloque organisé par le Centre d'histoire culturelle
  des sociétés contemporaines de l'Université de Saint-Quentin-en-Yvelines et
  l'INA, 14,15 et 16 avril 2005)
  
  A l'image du pays partagé entre deux communautés linguistiques principales,
  la télévision belge est créée en 1953 à titre expérimental mais en deux
  exemplaires : une chaîne néerlandophone et une chaîne francophone.
  Pourtant, malgré des moyens financiers très limités par rapport à ses
  voisins français, cette dernière (RTB) va engendrer une véritable " école
  belge du documentaire historique télévisé", héritière de la
  tradition nationale du documentaire de cinéma. Caractérisée par le goût
  pour des sujets belges contemporains, par l'usage outrancier des anniversaires
  prétextes, par l'indépendance très marquée de l'équipe " journaliste
  - réalisateur- historien référant " et par le manque relatif de moyens
  compensé par des improvisations souvent géniales, elle va expliquer la
  seconde guerre, en servant très vite de passerelle entre l'historiographie
  scientifique qui se met en place petit à petit et le public téléspectateur.
  Dans un contexte historiographique très concurrentiel en raison de
  l'influence de ses grands voisins (surtout français), ses équipes vont
  produire dans les années 1964-1995, un nombre considérable de programmes
  essentiellement en trois étapes : une série mensuelle fondatrice sur la
  Première Guerre (Le Journal de la Grande guerre - 1964-1968), une succession
  de projet d'une extrême richesse cristallisée autour de Jacques Cogniaux,
  Alain Nayaert et Philippe Dasnoy avec pour point commun l'étude de " la
  Belgique pendant la Seconde guerre " (1970-1980) et une série mensuelle
  anniversaire (Jours de guerre - 1989-1995) renforcée par de très nombreuses
  émissions commémoratives nationales ou étrangères..
  Attention, le contenu de ces textes représente
  la situation au moment de la redaction.
  
  Table des matières
  
  
Introduction
  
Nous
  devons commencer avant tout par un petit rappel géopolitique. La Belgique est
  un pays d’environs 10 millions 400 000 habitants composé de 6 millions de néerlandophones,
  4 millions 300 000 francophones et 70 000 germanophones sur un territoire de
  32500 km² ce qui veut dire que le pays est petit, très densément peuplé ce
  qui n’est pas sans conséquences sur le développement de la télévision,
  ni d’ailleurs sur son identité culturelle. 
En
  effet, dès sa création, la télévision belge doit subir la concurrence de
  ses grands voisins à l’hégémonie culturelle bien affirmée. Si dans les
  années 30, Bruxelles est à bien des égards une annexe culturelle de Paris,
  c’est également un peu le cas dans les années 1953-1960 pour notre télévision
  francophone qui reprend de nombreux programmes de la RTF. Même lorsqu’elle
  s’émancipe du « relais de Paris » à l’occasion de la
  catastrophe du Bois du Cazier, de l’indépendance du Congo et surtout de la
  Guerre d’Algérie, elle est toujours comparée à sa grande sœur française,
  essentiellement pour les programmes culturels. En effet, une bonne moitié des
  téléspectateurs belges la capte par l’intermédiaire de l’émetteur de Lilles-Bouvignie.
  Dans le milieu des années 60, l’installation de la télédistribution par
  les intercommunales d’électricités ou par les compagnies dédiées étend
  la réception des chaînes françaises à tout le territoire dans des
  conditions de confort remarquables. Notons pourtant que ce ne sont pas les chaînes
  françaises qui sont le produit d’appel pour le raccordement mais bien la télévision
  luxembourgeoise très nettement axée sur le divertissement.
Mais
  paradoxalement, si on s’en tient aux chiffres bruts et aux programmes
  historiques, la comparaison entre les deux pays n’est pas toujours au bénéfice
  des chaînes françaises. En effet, dans la décennie 1960-1969, la seule RTB
  produit avec une seule chaîne seulement 17 programmes historiques de moins
  que la télévision française avec des moyens sans aucune mesure. Plusieurs
  raisons peuvent expliquer ce goût de la RTB pour l’histoire. D’abord
  l’existence depuis les années 20 en Belgique d’une tradition du
  documentaire à destination du cinéma. Ensuite, les circonstances de la création
  de la télévision belge qui concentre des talents frondeurs à qui on laisse
  une presque totale liberté et qui ont le goût de l’histoire contemporaine
  spectaculaire mais qui doivent inventer par manque d’argent des formes
  nouvelles de documentaires télévisés. Enfin, la rencontre entre une télévision
  et un public frustré d’histoire contemporaine par un système scolaire où
  l’histoire se termine dans les années 60 « en catastrophe au sens
  propre comme au sens figuré par l’invasion du pays par les Allemands en
  1914 ».
Trois
  groupes linguistiques aux intérêts divergents cohabitent en Belgique.
  Les relations parfois tendues entre deux des trois communautés aboutissent
  par étapes conflictuelles à la création d’un système institutionnel asymétrique
  quelque peu compliqué mais qui a maintenu la paix civile dans le pays. Cette
  situation est capitale pour la compréhension du système télévisuel belge.
  En effet, alors même que l’état était encore unitaire, dès la création
  de la télévision belge, l’Institut de radiodiffusion linguistiquement bicéphale
  qui existait déjà depuis les années 30, a dû doubler les
  structures d’une télévision moderne : émetteurs, 
  achat de matériel de reportage et d’exploitation, centre de
  communication hertzien, locaux, personnel. Plus important encore pour notre
  propos, cette situation d’indépendance de fait, renforcée par l’évolution
  institutionnelle du pays dans les années 70-80 et par des statuts très libéraux
  va aboutir à un développement de plus en plus divergent des deux chaînes séparées
  non seulement par la langue mais aussi de plus en plus par un changement d’identité
  historiographique. 
Dans
  cet exposé je vous donnerais donc essentiellement un aperçu chronologique de
  la façon dont la télévision belge francophone va envisager la Libération
  et la Seconde guerre mondiale avec essentiellement ses préoccupations propres
  mais aussi dans une certaine mesure à travers les productions françaises qui
  nous arrivent par la télédistribution et les productions britanniques
  traduites et adaptées. 
La
  Libération est sur la RTB essentiellement évoquée à l’occasion des
  anniversaires mais c’est je crois une constante des télévisions qui vivent
  l’histoire par la célébration. D’autre part, si des évènements
  importants comme le Débarquement ou la libération de Paris ne sont pas ignorés
  par la télévision belge, influence française oblige, il faut souligner
  l’importance chez nous de l’après libération de Bruxelles. En effet, les
  durs combats pour la libération des bouches de l’Escaut, les offensives des
  armes V sur Anvers qui en reçoit plus que Londres et surtout la Bataille des
  Ardennes qui va saigner le sud-est du pays allongent notablement cette notion
  de « libération », au moins jusqu’en janvier 1945. 
Nous
  envisagerons d’abord les pâles évocations de la libération et de ses évènements
  connexes en 1964 dans une télévision toute occupée à 14-18 le journal
  de la grande guerre, son œuvre monumentale. 
Par
  contre la véritable naissance de la passion de la RTB pour la seconde guerre
  à lieu en 1969-1970 dans la série Vingt-cinq ans après dont
  l’essentiel des thèmes sont au cœur de ce colloque. 
Si
  le trentième anniversaire de la libération ne suscite pas en Belgique,
  contrairement à la France, de programmes particulièrement remarquables, le
  quarantième anniversaire est l’occasion de la création de deux séries
  exceptionnelles tant par leur conception que par leurs conséquences
  historiographiques : 44-84 : la libération et 44-84 :
  La Bataille des Ardennes où la tragédie humaine apparaît au cœur des
  préoccupation des auteurs de documents historiques en Belgique. 
Mais
  c’est, à la grande surprise de beaucoup qui croyaient le conflit vraiment
  enterré dans les livres d’histoire, le cinquantième anniversaire de la libération
  qui va susciter la production historiographique la plus nombreuse et la plus
  variée de la télévision belge. Les commémorations de la libération et de
  la bataille des Ardennes seront en 1994-1995, le point paroxysmique (directs,
  célébrations, fête) de Jours de guerre, la série qui raconte
  mensuellement depuis 1989 la Belgique et le monde en guerre. 
Si
  les programmes pour le soixantième anniversaire de la libération et des évènements
  annexes restent de bons moments télévisés, ont sent bien une lente désaffection
  pour un genre qui semble, malgré les dénégations farouches, quelque peu à
  bout de souffle sur la télévision belge.
1964-1965
Le
  vingtième anniversaire de la libération est a priori un bon moment pour célébrer
  la seconde guerre pour une télévision en pleine possession de ses moyens.
En
  effet, il reste chez la plupart de ceux qui ont vécu les « folles journées»
  accompagnant la libération des milliers de villages traversés par les
  troupes alliées en France et en Belgique, un souvenir exaltant avec pour les
  Français l’importance symbolique de la libération de Paris ou pour les
  Belges la constance des récits de l’arrivée des troupes alliées
  britanniques ou américaines dans les village qui prennent parfois dans leur
  expression télévisuelles une valeur patrimoniale.
En
  Belgique et au Luxembourg, l’épisode de la contre-offensive des Ardennes
  prend une grande importance, en tout cas beaucoup plus qu’en France. Elle
  donne l’occasion à l’armée américaine d’écrire par la résistance
  courageuse de ses soldats une page mythique de son histoire célébrée
  dans les années 50 par le cinéma et en 1964 par le documentaire télévisé.
  Elle est aussi pour les civils belges un dur purgatoire entre deux
  libérations dont la télévision belge ne s’en fera véritablement l’écho
  qu’en 1984. 
Télévisuellement
  parlant, la libération est aussi un bon sujet car on dispose de beaucoup
  d’images d’archives, d’autant qu’en 1964, un bon nombre de personnalités
  qui ont pris part au conflit, sont encore vivantes, prêtent parfois leur
  concours à l’un ou l’autre programme mais vieillissent. Ce qui fait dire
  à certains réalisateurs de la RTB qui ont travaillés sur ces commémorations,
  qu’ils croyaient bien en parler pour la dernière fois. La suite va leur
  donner tord. 
En
  comparaison avec ce que se fera plus tard sur la RTB, le 20ème
  anniversaire de la libération et de ses évènements connexes fait pâle
  figure dans une télévision toute occupée à 14-18 le journal de la
  grande guerre, son œuvre monumentale qui retrace l’histoire du conflit
  pendant quatre ans, une fois tous les 15 jours puis une fois par mois. C’est
  donc le
  Journal de la Grande guerre
  qui fait l’événement et qui sera célébrée plus tard comme la première
  grande série d’émissions historiques de la RTB et qui rentrera justement
  dans le panthéon de la chaîne. Son souvenir est tellement prégnant qu’il
  va même parfois jusqu’à gommer dans le souvenir toutes productions antérieures
  en devenant le symbole du début de l’histoire à la RTB. Son aspect
  marathonien minimise fortement, même chez des journalistes fort impliqués
  dans la production historique contemporaine de la chaîne, la grande
  production postérieure de la RTB, qui ne trouve pas sa place dans les séries
  ambitieuses comme le sera Jours de Guerre en 1989-1995. Les 20 ans qui
  vont suivre (1968-1988) seront d’ailleurs d’une extrême richesse
  historique à la RTB même si les programmes ne sont pas organisés en séries
  de longue haleine mais souvent en petites séries de trois à huit programmes
  où la seconde guerre mondiale est majoritaire. En effet, les programmes
  historiques sont une tradition chez nous et hormis des émissions diffusées
  ponctuellement, ils ont presque toujours pris la forme de projets de moyenne
  ou grande ampleur, mais toujours liés à des commémorations importantes ou
  aux grands moments de l’histoire nationale contemporaine. 
Face
  à cette émission mythique, les programmes sur la deuxième guerre mondiale,
  font presque pâle figure. Bien sûr, la RTB ne manque pas le débarquement en
  reprenant en direct les Cérémonies
  commémoratives à Utah Beach en Eurovision et en intégrant la séquence Le
  6 juin 1944 dans Neuf millions,
  notre Cinq colonnes à la une, mais elle passe à côté
  de D-day
  plus 20 years : Eisenhower returns to Normandy
  (ou D-day 20 ans après) le reportage - documentaire américain de la
  CBS de  William Palmer où
  Walter Cronkite accompagne le général Eisenhower, revenu sur les plages du débarquement
  qu’a diffusé la BRT, la BBC, la télévision hollandaise et la télévision
  allemande. 
Si
  la libération du pays proprement dite est évoquée par le double programme
  maison attendu Il y a 20 ans la libération de la Belgique, c’est la Bataille des Ardennes qui, en plus des cérémonies commémoratives,
  va être à l’origine de la production
  la plus originale de l’année. La RTB coproduit avec la NBC le
  document de montage de 45’ Il y a 20
  ans l’offensive de la dernière chance ou Bataille des Ardennes, il y a 20 ans … l’offensive von Rundstedt
  de Frans Felitta. Ce montage d’archives allemandes et américaines, de plans
  de paysages ardennais, de photos et de cartes animées est intéressant car il
  y ajoute les témoignages d’à peu près tout ce qu’il reste d’officiers
  supérieurs impliqués dans la bataille (Général Omar Bradley, Général Mac
  Auliffe, Brigadier Bruce Clarck, Commandant Ernie Harmon de la 2ème
  division blindée, von Manteuffel commandant de la 5ème armée
  blindée allemande), d’un GI qui se trouvait à Elsenborn, d’un sergent américain
  et de quelques civils belges encore considérés à l’époque comme « simple
  spectateurs ». Le document est tellement « définitif » que
  la RTB, et c’est une méchante habitude qui durera jusqu’aux années 90,
  le saucissonnera en 1969 pour le programme Noël
  44 de la série 25 ans après et en 1984 pour la série 44-84.
  La Bataille des Ardennes.
Remarquons
  donc que la RTB ne se lance pas dans une vaste production propre sur le second
  conflit alors qu’elle le fait pour le premier. Les raisons peuvent en être
  multiples : une prudence exagérée face à un conflit récent, pas
  encore d’équipe formée et rompue à la recherche d’archives sur cette période,
  impossibilité de mener de front deux programmes aussi ambitieux, littérature
  historique encore en gestation ou plus simplement pur hasard car en 1965, débute
  la série 25 ans après qui ne traite
  que du second conflit mondial.
  1969-1970
Pour
  le 25ème anniversaire de la libération, entre quelques émissions
  ponctuelles sur le conflit et des programmes spécifiques à « l’année
  Napoléon » qui fait nettement moins de dégâts chez nous qu’outre
  – Quiévrain, la
  RTB propose Vingt-cinq
  ans après, une
  série typique de la période
  brillante mais confuse qui commence pour l’histoire contemporaine à la RTB.
Le
  projet initial, L’Entre-deux-guerres, 
  prévoyait 18 émissions de 60 à 90 minutes, échelonnées sur trois
  ans à raison de six émissions par an sans périodicité fixe. L’équipe
  d’origine est constituée des réalisateurs Daniel Vos, Jacques Cogniaux,
  Michel Stameschkine et des journalistes Michel Fransen, Jacques Bredael, Alain
  Nayaert, les principaux acteurs du documentaire historique télévisé belge
  des années 60-90 avec Philippe Dasnoy. La réelle nouveauté est
  d’introduire dans cette équipe des conseillers historiques issus des trois
  universités francophones et de l’Ecole royale militaire. Les futurs
  programmes devaient se structurer en trois parties chronologiques : Du Traité de Versailles au Traité de Sèvre ou la liquidation de la
  guerre (1919-1925), De l’Europe
  remodelé à la crise américaine et à la montée du fascisme (1925-1933)
  et De l’Arrivée d’Hitler au pouvoir
  à la guerre (1933-1939). 
En
  plus de 1940
  en 1965, premier opus d’un Vingt-cinq
  ans après qui
  ne dit pas son nom,
  L’entre deux guerres
  commence donc début 1969 une brillante carrière avec Vainqueur ou vaincu sur les premières années de l’après-guerre,
  Gauche - droite Mussolini
  sur son arrivée au pouvoir et Albert
  1er de Belgique essentiellement sur le roi après la première
  guerre. 
Mais
  le projet avorte bientôt en raison de réductions budgétaires parallèles à
  une augmentation des coûts et d’un programme d’austérité touchant la
  RTB qui lui fait renoncer à de nombreuses émissions. Nous
  n’avons jusqu’à présent aucun indice pour affirmer une quelconque volonté
  autre que budgétaire. C’est d’autant plus vrai que les premières Télé
  mémoires où s’expriment avec une très grande franchise les anciens
  ministres belges de 1940-1944, sont déjà passé par là et qu’une génération
  nouvelle d’historiens essentiellement issus du Centre de recherche et d’étude
  sur la Seconde guerre mondiale se penche sur la période. Même si on
  escamote les années 30 et les premières années de la guerre, il semble bien
  que c’est l’argent  et non une
  quelconque peur d’étudier un sujet « brûlant » comme la pré
  collaboration en Belgique ou Question royale qui fait avorter le grand projet
  de poursuivre 14-18. Journal de la Grande guerre dans L’entre-deux guerre et le font remplacer par le moins ambitieux Vingt-cinq
  ans après « consacré à la commémoration des grands évènements
  de l’année 1944-1945 ».
  Malheureusement, cela a une grande importance pour l’histoire télévisée
  belge qui voit brisée sa continuité logique. 
La
  nouvelle série reprend donc une chronologie qui est au centre de ce colloque.
  D’abord des programmes qu’on attend comme Overlord,
  le 6 juin 1944 en juin 1969 qui souffre de la comparaison avec la française
  La Bataille de Normandie et avec la
  fiction Le Jour le plus long ou Septembre
  44 : La libération en septembre 1969. Ensuite des programmes plus spécifiquement
  liés à l’histoire du pays libéré comme Noël
  44 : La Bataille des Ardennes diffusé le 24 décembre 1969 avant la
  messe de minuit qui a lieu à Bastogne qui reprend beaucoup de la production
  belgo américaine déjà citée plus haut et Les Belges dans la guerre
  en mai 1970, une émission « à hauteur d’homme 
  qui laisse la part belle à des hommes qui durent faire la guerre malgré
  eux ». Notons qu’en plus de Quand
  s’ouvrent les grilles dans la même
  série en mars 1970 sur la libération des camps en général, les cérémonies
  commémoratives du 25ème anniversaire de la libération du camp de
  Breendonk suscite la réalisation du documentaire Dialogue ouvert : Breendonk, une rencontre entre jeunes et anciens détenus.
Cette
  série est capitale car elle fixe pour un quart de siècle l’historiographie
  télévisée francophone belge : programmes aux préoccupations
  nationales, primauté de l’histoire contemporaine et particulièrement de la
  Seconde guerre, abandon d’une orientation trop didactique qui caractérisait
  certaines émissions historiques antérieures, mélange de gravité et de
  spectacle plaisant ancré dans le souvenir des spectateurs, outrance
  dans l’usage de l’anniversaire prétexte, création du triptyque
  journaliste – réalisateur – historien référent, indépendance très
  marquée des équipes,  improvisation systématique mais souvent géniale.
  Le manque chronique de moyens par rapport à ses grands voisins
  obligent aussi la RTB à recourir systématiquement au témoignage ou
  à l’archive privée de « ceux de chez nous », à adapter en
  français contre abandon des droits des programmes britanniques et américains
  bon marchés car largement rentabilisés, à vampiriser à bon compte les
  archives des mêmes programmes et à établir de très bonnes relations avec
  les centres d’archives français avec qui on négocie pied à pied des
  accords avantageux. Ce
  sont les caractéristiques de ce que j’appelle l’école belge du
  documentaire historique télévisé qui s’installent avec Vingt-cinq ans
  après.
Le
  programme est bien accueilli par la critique qui le récompense par deux
  Antennes de cristal et une nymphe d’or. Par contre, on n’a peu de
  renseignements sur l’accueil du grand public à part peut-être dans une
  presse qui nous permet d’appréhender les
  réflexions que peuvent susciter ces « montages historiques à la
  belge » sur la période 1944-1945 et plus généralement sur la seconde
  guerre. L’essentiel des
  réflexions se concentre autour de trois sujets : l’émotion du
  souvenir, la question des jeunes et la polémique latente de la Question
  royale. 
Assez
  unanimement et au-delà des clivages, l’émotion est indéniablement présente
  dans bon nombre d’articles, née soit de la seule force des images d’une
  grande qualité émotive, soit du réveil des souvenirs des rédacteurs qui revivent
  grâce à Septembre 1944 :
  La Libération, l’émotion joyeuse qu’ils avaient ressenti à l’époque.
  Philippe Dasnoy avait déjà pressenti le phénomène dans une interview présentant
  l’émission  au Moustique : « L’euphorie,
  l’enthousiasme – Effectivement <…> il s’est passé à Bruxelles
  le trois septembre des choses extraordinaires. Dans toute leur traversée de
  la France, les anglo-américains n’avaient pas encore connu cela. Tous les témoignages
  concordent. Le phénomène bruxellois, le phénomène belge est unique :
  une explosion de joie populaire sans précédent ». Par contre Quand
  s’ouvrent les grilles
  est l’occasion de raconter une autre forme d’émotion entre 
  commisération et pitié, une démarche certainement inconsciente des
  auteurs de Quand s’ouvrent les grilles
  mais dont on peu soupçonner la télévision des années 90 d’avoir un peu
  abusé.
La
  question d’une télévision historique à destination de l’édification
  des jeunes générations est le pont aux ânes de l’historiographie télévisée,
  particulièrement chez nous. Comme pour le Journal
  de la Grande guerre et les Télé Mémoires,
  sans même parler des programmes futurs, l’évocation de la libération dans
  Vingt-cinq ans après est l’occasion de réflexions sur les intérêts
  divergents des générations. Les auteurs s’en expliquent en se rendant bien
  compte de la difficulté de contenter à la fois les témoins passifs ou
  actifs des évènements mais aussi les plus jeunes pour qui selon la
  presse « la seconde guerre mondiale est aussi éloignée de leurs préoccupations
  que les guerres napoléoniennes ». Certains rédacteurs, vont même
  rendre une émission qu’ils n’aiment pas, responsable d’un conflit générationnel
  qu’ils ne maîtrisent pas, sur le souvenir de la Seconde guerre. Mais au delà
  de l’histoire à la télévision, ces propos sur les jeunes génération
  montrent aussi une évolution dans la pensée des auteurs d’articles. Ils
  sont toujours en activité et dans la force de l’âge de leur profession,
  mais se rendent compte que leurs enfants sont devenus des adultes avec une
  pleine conscience et des valeurs propres construites sur des référents
  historiques différents des leurs. Sans atteindre ce que connaît
  l’Allemagne au même moment, quelques extraits du programme mettent en
  difficulté morale les générations plus anciennes qui sont obligé ici
  d’assumer leur passé face aux plus jeunes, essentiellement autour de la
  question du rexisme et de son chef Léon Degrelle. Dans
  le même ordre d’idée mais plus amusant, une autre polémique un peu étrange
  qui avait déjà fleuri à l’occasion de l’apparition d’Alain Nayaert
  dans Le Journal de la Grande guerre
  cinq ans plus tôt ressurgit : celle de la jeunesse de certains de ses
  auteurs. On leur dénie le droit de parler d’évènements qu’ils n’ont
  pas vécu en tant qu’acteurs agissants. 
Pourtant,
  parler de controverses voire de polémiques pour cette série, et particulièrement
  pour l’épisode sur la libération, est largement une exagération de
  langage. Si Philippe Dasnoy dans une autre interview au Moustique
  se demande s’il est temps de s’intéresser à certains « sujets qui
  fâchent », il faut bien reconnaître que s’il y a polémique, elle se
  fait à fleuret moucheté. Côté presse catholique Le Ligueur met au
  pilori l’idée cynique et certainement pas désintéressée que les belges
  n’étaient préoccupés que par leur estomac et fait allusion à un phénomène
  que la télévision envisage assez peu car peu spectaculaire : la volonté
  après la libération de réformer la société. Il regrette que Vingt-cinq
  ans après se contente de la libération visible. Côté presse de gauche
  et syndicale, La Wallonie parle de la question de la collaboration et
  de la répression, en comparant Flandre et Wallonie et surtout profite de
  l’occasion pour régler quelques comptes politiques avec les Ministres de
  Londres qui sont retirés des affaires depuis longtemps mais presque tous
  encore vivants. Paradoxalement, cette rancune n’a pas pour objet la libération
  ni même la période de guerre mais bien l’après-guerre et met en lumière
  la principale faiblesse de la série et par la même occasion de l’histoire
  à la télévision belge à cette époque : l’absence de la Question
  royale et de ses origines, selon moi le seul point réellement tabou dans
  l’historiographie belge du temps. Si les Télé
  Mémoires en 1968, Vingt-cinq ans
  après en 1969 et Les Grands
  dossiers en 1974 l’éludent tout en « tournant autour du pot »,
  il faut attendre le travail, d’ailleurs critiqué, de Christian
  Mesnil en 1975, a destination d’une exploitation en salle et passant
  d’abord sur la télévision française dans les Dossiers de l’écran,
  pour qu’elles apparaissent enfin dans l’histoire télévisée. L’Ordre nouveau de Maurice De Wilde sur la BRT, mais repris sur la
  RTBF, permettra aussi de remettre la Question royale à l’avant-plan.
Pour
  le reste, les émissions sur la seconde guerre et la libération ne concernent
  que la Bataille des Ardennes et encore dans des série fort peu historiques :
  Ce Pays est à vous sur Bastogne
  qui présente des
  documents sur l’Offensive von Runstedt et Portrait
  sur la ville et le « tourisme de guerre ».
Côté
  BRT, sans regrouper ses émissions
  dans une série spécifique, la télévision flamande reproduit néanmoins le
  schéma de Vingt-cinq ans après
  adaptés à la sensibilité locales. Elle produit en propre l’évocation
  en deux parties par le Professeur Charles de l’Ecole royale militaire de La Libération de la Belgique mêlant témoignages et archives filmées
  et achète les documentaires britannique D-Day
  et Arnhem septembre 1944  tout
  en programmant une fois de plus Battleground le
  film de guerre américain de William Wellman de 1949 sur les combats autour de
  Bastogne.
   
Pourtant,
  la seconde guerre n’est pas absente des programmes belges. L’équipe
  Nayaert – Cogniaux - Charles s’est attelé à Résistance, une
  autre série de taille moyenne qui veut retracer certains aspects de la résistance
  belge pendant la deuxième guerre mondiale en abordant un cas particulier
  comme exemple d’une situation plus générale. Trois épisodes sur quatre
  sortent de notre propos et pourtant préparent la libération : L’Affaire
  du Bois du Cazier qui raconte avec très peu de documents l’attaque par
  la résistance du dépôt d’explosif du charbonnage et le dynamitage des
  installation, L’Attaque du vingtième convoi qui raconte l’attaque
  désespérée et bricolée de trois résistants belges isolés d’un convoi
  de déportés pour tenter de libérer des déportés et Follow-me - Le Réseau
  comète qui décrit le réseau d’évasion d’Andrée De Jonghe en
  suivant les aventures d’un aviateur britannique de son écrasement dans les
  Ardennes à la frontière espagnole. 
Il
  faut attendre 1976 pour que Jacques Cogniaux, seul cette fois, mette en lumière
  un épisode de la libération peu connu en dehors de chez nous mais capital
  pour la libération de l’Europe. Dans Un port pour la victoire, il
  fait avec de nombreux témoins présentés in situ, le récit de la libération
  du port d’Anvers et des bouches de l’Escaut en mettant en avant l’action
  de la résistance pour la sauvegarde du port et des troupes belges dans l’île
  de Walcheren.
  1984-1985
Alors
  que le quarantième anniversaire de la libération et de ses évènements
  connexes est exceptionnellement bien présent sur beaucoup de télévisions,
  les émissions documentaires qui deviennent souvent au milieu des années 80
  des produits exportables, reproduisent toutes le même schéma chronologique
  ou commémoratif. 
La
  RTBF, télévision d’un pays qui redevient quarante ans plus tôt une zone
  d’opérations militaires se fond aussi dans ce moule mais consent pour l’événement
  un très grand effort : reprise des cérémonies commémoratives du
  quarantième anniversaire du débarquement, étude sur sa préparation dans
  les milieux des collectionneurs « militaria » (6 juin 1984 : le jour le plus long – deuxième),
  journée spéciale d’évocation en prélude aux cérémonies de commémoration
  sur le premier programme radio, retransmission en direct de l’esplanade du
  Cinquantenaire des cérémonies commémoratives
  du quarantième anniversaire de la libération de la Belgique, série
  de cinq journées spéciales en direct de la ville (Noël
  à Bastogne), reprise de la messe
  de minuit en Eurovision, programme radio étalé sur trois semaine (La
  Bataille des Ardennes au jour le jour), parrainage de la sortie de deux
  livre et de deux audiocassettes.
Mais
  c’est dans la série 1944-1984 qu’elle va évoquer le mieux la libération
  du pays et la désillusion des combats des Ardennes, en proposant un produit
  original qu’elle réussira même, inversant sa tradition d’adaptation, à
  exporter vers la Grande-Bretagne. 44-84 
  est en fait le titre générique d’une collection produite presque entièrement
  par les centres régionaux de Charleroi et de Namur de la RTBF. La série réuni
  10 documentaires de durées variables (entre 45 et 90’) divisés en deux périodes :
  La Libération (5 programmes) et La
  Bataille des Ardennes (5 programmes). La Libération comporte deux
  programmes géographiques (La Libération
  de la Wallonie et de Bruxelles et
  La Libération de la Flandre et
  de Bruxelles / Bevrijding
  produite par la BRT) et trois programmes thématiques tout à fait novateurs (Elles
  sur les femmes dans la guerre et à la libération, Les Belges
  dans la victoire sur l’armée
  belge de 1944 et Déposez armes sur le désarmement délicat à la libération de
  la résistance dont on craint un coup d’état de la part de son aile
  communisante). La Bataille des Ardennes, qui réuni les mêmes et Peter
  Thomas de la BRF pour les programmes qui touchent les cantons de l’est, est
  plus chronologique : Brouillard d’automne une
  trop longue introduction à la situation politique et militaire avant la
  bataille, La
  Percée sur l’invasion à
  partir du 16 décembre 1944, L’Enlisement sur la « viscosité » de l’offensive
  allemande freinée par une résistance de plus en plus forte des américains, Coup
  d’arrêt sur la Meuse sur le blocage de l’offensive et l’arrivée
  des renforts américains comme la 101ème et la 82ème aéroportée
  et Nuts  presque exclusivement
  consacrée aux combats autour de Bastogne, un peu laissée à l’abandon par
  les autres épisodes.
La
  petite équipe de base (Luc Rivet, Yvan Sevenans, Anne Fontaine), tout en
  respectant les habitude formelle des programmes historiques « à la
  Belge » héritée de Jacques Cogniaux, qui ne participe pas à
  l’aventure accaparé par l’adaptation en français de la série BRT L’Ordre
  nouveau, va plutôt s’inspirer d’Inédits
  également produite par la RTBF-Charleroi. Sans doute historiquement la plus
  innovante de la télévision belge, cette émission qui existe toujours, compile
  depuis 1980 des documents
  amateurs glanés dans tous le pays et commentés par ses auteurs,
  essentiellement issus de la petite classe moyenne des années 30-70. André
  Huet son producteur participe d’ailleurs comme attaché de recherche au
  projet 44-84. 
Quelques-soient
  ses épisodes, 44-84 insiste dès le départ sur
  l’importance
  « du côté humain » de la libération et des combats postérieurs
  notamment en usant systématiquement de nombreux documents d’amateurs et
  surtout des témoignages des « petits » de la guerre, civils et
  soldats. Le fait que, contrairement aux programmes étrangers, tout le monde
  reconnaît les routes, les villages, les noms de chez nous aide aussi au succès
  de la série. De plus, en 1984 seule la RTBF produit une émission complète
  sur la bataille, montrant si c’était nécessaire l’importance qu’elle
  tient dans notre mémoire comme dans celle des américains. 
44-84
  est le succès historique de l’année pour la RTBF, loin devant L’ordre nouveau qui au même moment coupe en quatre les cheveux de
  la collaboration. Tous les épisodes plaisent beaucoup au public peut-être
  simplement parce qu’ils sont très visuels, présentent moins de longues
  interviews mais plus de documents filmés et donnent une image moins élitiste de
  la guerre en préférant le quotidien du civil. Témoin de cet intérêt, le
  courrier des spectateurs particulièrement abondant tant par le nombre de
  lettres que par le nombre de feuillets écrits par un public manifestement peu
  habitué à l’exercice. L’écrasante majorité consiste en souvenirs,
  souvent intéressants ou poignants venant fort logiquement de la province de
  Luxembourg et de la province de Liège. Par contagion, La libération
  et La bataille des Ardennes sont l’occasion pour les centres
  culturels, les clubs photo ou ciné-clubs locaux de proposer une série
  impressionnante de documents plus ou moins bien élaborés, souvent prétextes
  à débats.
En
  fait La Bataille des Ardennes est un
  choc pour beaucoup, y compris pour les habitants des régions où elle s’est
  passée quarante ans auparavant. En resserrant le champ des caméras sur les
  civils dans la bataille, elle devient pour l’extérieur mais aussi pour
  beaucoup d’entre eux, le révélateur des souffrances qu’ils ont pourtant
  vécu. La Bataille des Ardennes
  a été, souvent pour la première fois depuis décembre 1944, l’occasion de
  parler pour des témoins marqués à vif. L’un d’eux dira par exemple
  quarante ans après, le « goût amer et âcre » qu’a laissé
  l’offensive Von Rundstedt dans le sud du pays. L’émotion est ici au cœur
  de la réalisation.
Ce
  qui est plutôt rare pour un documentaire sur la Seconde guerre quarante ans
  après, 44-84 interpelle vigoureusement le spectateur belge en ramenant
  les souvenirs sombres de décembre 44 – janvier 45 un peu enfouis dans la mémoire
  par le bonheur de la septembre 44. 
L’empathie
  naturelle du spectateur pour le témoin est aussi à l’origine du succès de
  la Bataille des Ardennes. La
  sympathie, n’est pas la moindre des qualités de la série. Derrière la
  grande stratégie, les mouvements d’armée, les offensives et les retraites,
  les réalisateurs ont voulu donner sa vraie place à la dimension humaine. A
  travers ceux qu’ils font parler. Ils ont le souci de montrer ce que furent
  ces milliers de destins personnels impliqués dans une histoire qui les dépassaient
  mais qui pouvait leur être fatale. Rarement à notre connaissance, une série
  télévisée n’avait rendu l’histoire aussi proche. 
Plus
  simplement, on peut se demander si le succès du programme n’est pas
  simplement du à ce qu’il arrive à point. A un moment où le temps passé
  permet au témoin de parler de ses souffrances, mais suffisamment proche pour
  qu’il reste encore des souvenirs utiles. La
  Bataille des Ardennes compile des témoignages au moment où parlent aussi
  abondamment, les déportés raciaux. Il y a curieusement à la télévision
  belge francophone un parallèle chronologique entre la parole douloureuse des
  ardennais et celle des déportés.
Enfin,
  sans même parler de l’émergence de Centres régionaux depuis 1974 et émissions
  « régionalistes » plus ou moins artificielles produites en
  Belgique, La Bataille des Ardennes
  est certainement la première série authentiquement régionale où une
  majorité de Wallons se reconnaît comme l’exprime le rédacteur du magazine
  TV Jour : « Ainsi cette série nous procure-t-elle une émotion
  d’un type particulier. L’histoire nous rattrape au tournant et nous prend
  par le bras, car ces hommes et ces femmes qui nous racontent leurs souffrances
  sont de chez nous, ont notre accent, parlent de choses que nous connaissons
  bien, tout comme les paysages où tout cela s’est passé ».
  1994-1995
Nous
  sommes face à un paradoxe pour expliquer le cinquantième anniversaire de la
  libération et des évènements connexes dans notre pays. En effet, alors que
  le contexte est extrêmement favorable à la multiplication des programmes prétextes,
  la RTBF est la seule chaîne étudiée à voir le nombre de ses programmes
  historiques diminuer, alors que la France connaît une remarquable explosion, témoin
  de l’importance des commémorations
  liée au cinquantenaire.
Mais
  en fait, loin de l’ignorer, la RTBF a anticipé les commémorations en
  produisant depuis 1989 la série de prestige Jours de guerre,
  d’ailleurs largement financée par une banque, encore belge à l’époque.
Jours
  de guerre se veut la chronique fidèle de la situation quotidienne des Belges
  durant l’occupation avec des documents d’époque, des témoignages et des
  reconstitutions. Paradoxalement, si elle ne peut exister sans les célébrations
  du cinquantenaire, elle n’est pas, à quelques exceptions près, commémorative
  même si elle suit la chronologie des évènements. Jacques Cogniaux qui est
  au centre du projet meurt rapidement et une équipe se constitue en réunissant
  des anciens des programmes historiques et des gens venus essentiellement des
  programmes d’information. Au fil des années, l’équipe va gonfler
  jusqu’à atteindre une bonne trentaine de collaborateurs. Chose remarquable,
  pendant les cinq années du projet, l’équipe reste pour l’essentiel fidèle
  au plan de départ et à la structure mensuelle : La
  Guerre dans le monde sur les évènements politiques et militaires du
  mois, Les Belges sous l’occupation sur la guerre au quotidien, L’Air
  du temps sur la vie sociale et culturelle sous l’occupation. Par contre,
  les rubriques A Chacun sa vérité qui veut montrer en « version originale »
  un événement vu par l’un ou l’autre camps et Dans
  les départements du nord  en
  collaboration avec l’université de Lille et Nord Eclair sur la vie
  des départements français administré depuis Bruxelles n’auront qu’une
  existence éphémère ou ne verront jamais le jours. 
La
  radio propose dès le 5 mai 1990 un autre Jours
  de guerre hebdomadaire, composé de trois émissions chrono thématiques
  et d’un débat par mois suivant l’émission télévisée. Elle met en évidence
  les archives sonores, les commentaires des grands et petits acteurs de la
  guerre et le témoignage de belges sur la vie quotidienne d’un pays en
  guerre. Le travail fourni est remarquable et les sujets sont souvent plus
  fouillés que dans l’émission de télévision. Ils sont plus proche encore
  des préoccupations régionales supposées des auditeurs et sont souvent plus
  scientifiques. L’idée de génie de la série est de consacrer 45 minutes
  mensuelles aux questions des spectateurs où, en plus de clarifier quelques
  points trop rapidement envisagés dans l’émission de télévision, peuvent
  s’exprimer témoins et historiens. Enfin, le programmes est plus souple et
  contrairement à la télévision qui utilise les travaux d’historiens sans
  les faire apparaître à l’antenne, la radio recours régulièrement à
  leurs services tant comme intervenant dans les séquences que comme invités
  aux débats. On peut donc y  « chatouiller »
  quelques points  délicats de
  l’histoire belge, dégonfler quelques « canard » et être fort
  proche de l’historiographie du moment par l’évocation explicite des
  publications
La
  série atteint ses objectifs de départ : réaliser un programme mensuel
  sur cinq ans combinant l’histoire générale du conflit et « la guerre
  vue par les Belges ». Comme son illustre précédent 14-18, elle récapitule les connaissances du moment sur le conflit,
  offre un spectacle de bonne qualité, met en évidence des centres de
  recherche spécialisés et sauve de l’oubli des témoignages précieux. On
  peut même dire que les objectifs sont dépassés car sa durée est plus
  importante que le programme des années 60, car elle intègre des « sous
  séries », des directs et des débats d’un intérêt certains. En
  plus, elle laisse des dossiers importants cédés au CEGES et est accompagné
  d’une publication scientifique de longue haleine.
L’habitude
  est donc prise d’évoquer la seconde guerre mois après mois à tel point
  qu’à part les Journaux télévisés et la reprises des programmes en
  direct, du débarquement aux cérémonies du V-Day, c’est l’équipe de Jours
  de guerre qui phagocyte les programmes spéciaux commémorant parfois
  d’une façon paroxysmique, la libération dans Jours
  de libération
  ou la bataille des Ardennes
  dans
  Ardennes 44.
A
  l’origine, la libération ne devait être célébrée que par un simple
  programme spécial. Le projet va grossir petit à petit au fil des réunions
  pour aboutir à dix programmes télévisés commémoratifs en direct, en plus
  des habituels Jours de guerre,
  renforcé par une action radio exceptionnelle. Dans un premier temps, fin
  1993, la RTBF semble prévoir des commémoration dans les grandes villes, mais
  rapidement, à part Bruxelles, elle se tourne vers des entités plus petites
  qui ont connu des évènements particuliers lors de la libération
  (parachutage des SAS belges, arrivée du premier soldat allié, premières émissions
  de la radio nationale belge libérée). Des animations retransmises par la télévision
  sont prévues dans les communes étapes (concert de Jazz, défilé de véhicules
  militaires d’époque, animation par projecteurs de défense aérienne)
  suivies d’animations hors antenne souvent d’initiatives communales
  (spectacle pour les personnes âgées, Te Deum, cérémonies aux monuments aux
  morts, expositions diverses). L’effort est de taille et réuni tous les
  Centres de production radio-télévision, le service de promotion et une firme
  extérieure. L’équipe habituelle, qui assure toujours la production Jours
  de guerre,  prend aussi en charge la production des séquences
  documentaires et les tâches logistiques. La RTBF bénéficie également de la
  « coopération matérielle » des ambassades des Etats-Unis, de
  Grande-Bretagne et du Canada, du Comité du cinquantième anniversaire, de
  l’Office de promotion du tourisme et des communes qui disposent déjà
  d’un projet propre qui va parfois être fusionné avec celui de Jours
  de libération comme à Bruxelles, Momignies, Visé et Gedinne. Chaque épisode
  est précédé d’une intervention dans Info
  première (radio) et d’un « insert » dans le Journal télévisé montrant un « direct d’ambiance »
  à partir du plateau de Jours de libération.
Même
  si les choses semblent changer aujourd’hui, la comparaison des méthodes
  utilisées pour célébrer le cinquantième anniversaire de la libération et
  des évènements connexes par les chaînes de télévisions reçues en
  Belgique en 1995 est très intéressante. Si la RTBF préfère un programme
  structuré et un effort à long terme, quitte à intégrer d’autres projets
  parallèles, la France va multiplier les émissions prétextes de tous types
  et souvent d’une bonne qualité : retransmissions en direct, récits,
  courtes séries, documentaires souvent sur des sujets pointus, programmes
  consensuels ou « poils à gratter », fictions. La Grande-Bretagne
  et dans une moindre mesure l’Allemagne useront de la même méthode mais à
  une échelle moindre.
Par
  contre, si certains évènements de 1945 comme le V-Day ou la libération des
  camps en partie à l’origine des valeurs fondatrices de l’Europe
  contemporaine sont unanimement célébrés, et même si on sait que le contenu
  des programmes peut rappeler ce qui touche l’autre, il est amusant de
  constater qu’en gros chacun se moque de l’histoire de ses voisins et célèbre
  la libération au sens strict avec ses propres habitudes.
La
  France par exemple, va envisager le débarquement de Normandie et la libération
  de son territoire jusqu’à l’overdose mais, à une exception près, ignore
  superbement les évènements postérieurs. On
  a l’impression qu’après août 1944 la guerre n’est plus pour les français
  qu’on long no man’s land jusqu’à la capitulation. S’il est normal que
  la libération de la Belgique ne suscite pas en France un enthousiasme délirant,
  la discrétion sur la Bataille des Ardennes est moins opportune car les
  troupes françaises livreront dans l’est du pays de durs combats durant
  l’hiver 1944-1945. Il est aussi étonnant que la BBC, qui a bien évidemment
  mis le paquet pour le débarquement, ne parle pas de la bataille des Ardennes
  car ses troupes livrent également de durs combats dans le nord du front. Elle
  sera également très discrète sur la libération de la Belgique alors que
  ses troupes ont libérés le nord du pays. 
L’Allemagne,
  à l’exception de sa participation à Arte, et les Pays-bas ne fourniront
  des programmes « libération » que pour le V-Day et pour la libération
  des camps. Si c’est surprenant pour les Pays-Bas qui connaissent pourtant
  dans le sud une libération « à la belge », il est vrai endeuillé
  par l’échec d’Arnhem et par la famine de l’hiver 44-45, c’est plus
  compréhensible pour l’Allemagne. En effet, il ne doit pas être facile pour
  le spectateur allemand âgé, de passer les quelques mois de juin 1994 à mai
  1995. .
Je
  voudrais conclure pourtant par un exemple de production qui contredit entièrement
  la tendance générale décrite plus haut et qui montre que deux pays aux
  traditions historiques différentes peuvent produire une œuvre aux préoccupations
   commune. De
  part et d’autre de la frontière, les télévisions locales consacrent des
  programmes spéciaux à la commémoration de la libération. Côté belge, No
  Télé produit la remarquable série La
  Libération dans la Hainaut qui n’hésite pas à lorgner sur le proche
  voisin français tout en compensant les rares archives par de très bons
  interviews. Côté français, FR3 Nord – Pas-de-Calais – Picardie propose
  juste après, une aussi remarquable journée spéciale La
  Libération du Nord – Pas-de-Calais aux préoccupations semblables.
  2004-2005
Malheureusement,
  la conclusion de Jours de guerre semble correspondre à la fin d’une
  époque à la télévision belge francophone. Même si l’émission mensuelle
  Les Années belges reprend le flambeau de l’histoire nationale à la
  RTBF pendant un peu moins de dix ans, qu’à l’exemple de la BRT depuis
  quelques années une case spécifique à l’histoire trouve sa place sur la
  deuxième chaîne et que l’émission Archive
  s’intéresse enfin systématiquement au patrimoine de la télévision belge,
  les « équipes histoire » et les budgets semblent fondre tandis
  qu’on semble préférer l’achat de produit « clés sur porte »
  
L’évocation
  du soixantième anniversaire de la libération fait piètre figure par rapport
  aux deux décennies précédentes. En effet, si les cérémonies commémoratives
  du débarquement et de la bataille des Ardennes sont toujours diffusées, les
  programmes documentaires propres sont rares. Pas grand-chose pour la libération
  à part la récupération par Les Années
  belges des vieilles séquences de Jours
  de guerre. Pour l’avenir, la presse a annoncé pour le soixantième
  anniversaire de la libération des camps et de la défaite du nazisme des JT décentralisés,
  quelques années belges spéciales et « des films de qualité
  d’origine française et britannique ».
Dans un étrange retour aux sources, et même si l’actuel responsable des émissions historiques le nie farouchement, il semble qu’une RTBF impécunieuse, préfère l’achat économique de programmes étrangers à une « équipe histoire » au dessus de ses moyens, quitte à abandonner la spécificité historique du pays.