Documentaires à la télévision belge (1953-1995). Seconde guerre mondiale et libération ...
J.
GREGOIRE, Les Documentaires à la
télévision belge (1953-1995). Seconde guerre mondiale et libération, entre
production française, production britannique et préoccupations nationales dans
Les Médias et la libération en Europe
1945-2005, INA-L'Harmattan, 2006, pp. 439-460 (Actes du Colloque organisé par le Centre d'histoire culturelle
des sociétés contemporaines de l'Université de Saint-Quentin-en-Yvelines et
l'INA, 14,15 et 16 avril 2005)
A l'image du pays partagé entre deux communautés linguistiques principales,
la télévision belge est créée en 1953 à titre expérimental mais en deux
exemplaires : une chaîne néerlandophone et une chaîne francophone.
Pourtant, malgré des moyens financiers très limités par rapport à ses
voisins français, cette dernière (RTB) va engendrer une véritable " école
belge du documentaire historique télévisé", héritière de la
tradition nationale du documentaire de cinéma. Caractérisée par le goût
pour des sujets belges contemporains, par l'usage outrancier des anniversaires
prétextes, par l'indépendance très marquée de l'équipe " journaliste
- réalisateur- historien référant " et par le manque relatif de moyens
compensé par des improvisations souvent géniales, elle va expliquer la
seconde guerre, en servant très vite de passerelle entre l'historiographie
scientifique qui se met en place petit à petit et le public téléspectateur.
Dans un contexte historiographique très concurrentiel en raison de
l'influence de ses grands voisins (surtout français), ses équipes vont
produire dans les années 1964-1995, un nombre considérable de programmes
essentiellement en trois étapes : une série mensuelle fondatrice sur la
Première Guerre (Le Journal de la Grande guerre - 1964-1968), une succession
de projet d'une extrême richesse cristallisée autour de Jacques Cogniaux,
Alain Nayaert et Philippe Dasnoy avec pour point commun l'étude de " la
Belgique pendant la Seconde guerre " (1970-1980) et une série mensuelle
anniversaire (Jours de guerre - 1989-1995) renforcée par de très nombreuses
émissions commémoratives nationales ou étrangères..
Attention, le contenu de ces textes représente
la situation au moment de la redaction.
Table des matières
Introduction
Nous
devons commencer avant tout par un petit rappel géopolitique. La Belgique est
un pays d’environs 10 millions 400 000 habitants composé de 6 millions de néerlandophones,
4 millions 300 000 francophones et 70 000 germanophones sur un territoire de
32500 km² ce qui veut dire que le pays est petit, très densément peuplé ce
qui n’est pas sans conséquences sur le développement de la télévision,
ni d’ailleurs sur son identité culturelle.
En
effet, dès sa création, la télévision belge doit subir la concurrence de
ses grands voisins à l’hégémonie culturelle bien affirmée. Si dans les
années 30, Bruxelles est à bien des égards une annexe culturelle de Paris,
c’est également un peu le cas dans les années 1953-1960 pour notre télévision
francophone qui reprend de nombreux programmes de la RTF. Même lorsqu’elle
s’émancipe du « relais de Paris » à l’occasion de la
catastrophe du Bois du Cazier, de l’indépendance du Congo et surtout de la
Guerre d’Algérie, elle est toujours comparée à sa grande sœur française,
essentiellement pour les programmes culturels. En effet, une bonne moitié des
téléspectateurs belges la capte par l’intermédiaire de l’émetteur de Lilles-Bouvignie.
Dans le milieu des années 60, l’installation de la télédistribution par
les intercommunales d’électricités ou par les compagnies dédiées étend
la réception des chaînes françaises à tout le territoire dans des
conditions de confort remarquables. Notons pourtant que ce ne sont pas les chaînes
françaises qui sont le produit d’appel pour le raccordement mais bien la télévision
luxembourgeoise très nettement axée sur le divertissement.
Mais
paradoxalement, si on s’en tient aux chiffres bruts et aux programmes
historiques, la comparaison entre les deux pays n’est pas toujours au bénéfice
des chaînes françaises. En effet, dans la décennie 1960-1969, la seule RTB
produit avec une seule chaîne seulement 17 programmes historiques de moins
que la télévision française avec des moyens sans aucune mesure. Plusieurs
raisons peuvent expliquer ce goût de la RTB pour l’histoire. D’abord
l’existence depuis les années 20 en Belgique d’une tradition du
documentaire à destination du cinéma. Ensuite, les circonstances de la création
de la télévision belge qui concentre des talents frondeurs à qui on laisse
une presque totale liberté et qui ont le goût de l’histoire contemporaine
spectaculaire mais qui doivent inventer par manque d’argent des formes
nouvelles de documentaires télévisés. Enfin, la rencontre entre une télévision
et un public frustré d’histoire contemporaine par un système scolaire où
l’histoire se termine dans les années 60 « en catastrophe au sens
propre comme au sens figuré par l’invasion du pays par les Allemands en
1914 ».
Trois
groupes linguistiques aux intérêts divergents cohabitent en Belgique.
Les relations parfois tendues entre deux des trois communautés aboutissent
par étapes conflictuelles à la création d’un système institutionnel asymétrique
quelque peu compliqué mais qui a maintenu la paix civile dans le pays. Cette
situation est capitale pour la compréhension du système télévisuel belge.
En effet, alors même que l’état était encore unitaire, dès la création
de la télévision belge, l’Institut de radiodiffusion linguistiquement bicéphale
qui existait déjà depuis les années 30, a dû doubler les
structures d’une télévision moderne : émetteurs,
achat de matériel de reportage et d’exploitation, centre de
communication hertzien, locaux, personnel. Plus important encore pour notre
propos, cette situation d’indépendance de fait, renforcée par l’évolution
institutionnelle du pays dans les années 70-80 et par des statuts très libéraux
va aboutir à un développement de plus en plus divergent des deux chaînes séparées
non seulement par la langue mais aussi de plus en plus par un changement d’identité
historiographique.
Dans
cet exposé je vous donnerais donc essentiellement un aperçu chronologique de
la façon dont la télévision belge francophone va envisager la Libération
et la Seconde guerre mondiale avec essentiellement ses préoccupations propres
mais aussi dans une certaine mesure à travers les productions françaises qui
nous arrivent par la télédistribution et les productions britanniques
traduites et adaptées.
La
Libération est sur la RTB essentiellement évoquée à l’occasion des
anniversaires mais c’est je crois une constante des télévisions qui vivent
l’histoire par la célébration. D’autre part, si des évènements
importants comme le Débarquement ou la libération de Paris ne sont pas ignorés
par la télévision belge, influence française oblige, il faut souligner
l’importance chez nous de l’après libération de Bruxelles. En effet, les
durs combats pour la libération des bouches de l’Escaut, les offensives des
armes V sur Anvers qui en reçoit plus que Londres et surtout la Bataille des
Ardennes qui va saigner le sud-est du pays allongent notablement cette notion
de « libération », au moins jusqu’en janvier 1945.
Nous
envisagerons d’abord les pâles évocations de la libération et de ses évènements
connexes en 1964 dans une télévision toute occupée à 14-18 le journal
de la grande guerre, son œuvre monumentale.
Par
contre la véritable naissance de la passion de la RTB pour la seconde guerre
à lieu en 1969-1970 dans la série Vingt-cinq ans après dont
l’essentiel des thèmes sont au cœur de ce colloque.
Si
le trentième anniversaire de la libération ne suscite pas en Belgique,
contrairement à la France, de programmes particulièrement remarquables, le
quarantième anniversaire est l’occasion de la création de deux séries
exceptionnelles tant par leur conception que par leurs conséquences
historiographiques : 44-84 : la libération et 44-84 :
La Bataille des Ardennes où la tragédie humaine apparaît au cœur des
préoccupation des auteurs de documents historiques en Belgique.
Mais
c’est, à la grande surprise de beaucoup qui croyaient le conflit vraiment
enterré dans les livres d’histoire, le cinquantième anniversaire de la libération
qui va susciter la production historiographique la plus nombreuse et la plus
variée de la télévision belge. Les commémorations de la libération et de
la bataille des Ardennes seront en 1994-1995, le point paroxysmique (directs,
célébrations, fête) de Jours de guerre, la série qui raconte
mensuellement depuis 1989 la Belgique et le monde en guerre.
Si
les programmes pour le soixantième anniversaire de la libération et des évènements
annexes restent de bons moments télévisés, ont sent bien une lente désaffection
pour un genre qui semble, malgré les dénégations farouches, quelque peu à
bout de souffle sur la télévision belge.
1964-1965
Le
vingtième anniversaire de la libération est a priori un bon moment pour célébrer
la seconde guerre pour une télévision en pleine possession de ses moyens.
En
effet, il reste chez la plupart de ceux qui ont vécu les « folles journées»
accompagnant la libération des milliers de villages traversés par les
troupes alliées en France et en Belgique, un souvenir exaltant avec pour les
Français l’importance symbolique de la libération de Paris ou pour les
Belges la constance des récits de l’arrivée des troupes alliées
britanniques ou américaines dans les village qui prennent parfois dans leur
expression télévisuelles une valeur patrimoniale.
En
Belgique et au Luxembourg, l’épisode de la contre-offensive des Ardennes
prend une grande importance, en tout cas beaucoup plus qu’en France. Elle
donne l’occasion à l’armée américaine d’écrire par la résistance
courageuse de ses soldats une page mythique de son histoire célébrée
dans les années 50 par le cinéma et en 1964 par le documentaire télévisé.
Elle est aussi pour les civils belges un dur purgatoire entre deux
libérations dont la télévision belge ne s’en fera véritablement l’écho
qu’en 1984.
Télévisuellement
parlant, la libération est aussi un bon sujet car on dispose de beaucoup
d’images d’archives, d’autant qu’en 1964, un bon nombre de personnalités
qui ont pris part au conflit, sont encore vivantes, prêtent parfois leur
concours à l’un ou l’autre programme mais vieillissent. Ce qui fait dire
à certains réalisateurs de la RTB qui ont travaillés sur ces commémorations,
qu’ils croyaient bien en parler pour la dernière fois. La suite va leur
donner tord.
En
comparaison avec ce que se fera plus tard sur la RTB, le 20ème
anniversaire de la libération et de ses évènements connexes fait pâle
figure dans une télévision toute occupée à 14-18 le journal de la
grande guerre, son œuvre monumentale qui retrace l’histoire du conflit
pendant quatre ans, une fois tous les 15 jours puis une fois par mois. C’est
donc le
Journal de la Grande guerre
qui fait l’événement et qui sera célébrée plus tard comme la première
grande série d’émissions historiques de la RTB et qui rentrera justement
dans le panthéon de la chaîne. Son souvenir est tellement prégnant qu’il
va même parfois jusqu’à gommer dans le souvenir toutes productions antérieures
en devenant le symbole du début de l’histoire à la RTB. Son aspect
marathonien minimise fortement, même chez des journalistes fort impliqués
dans la production historique contemporaine de la chaîne, la grande
production postérieure de la RTB, qui ne trouve pas sa place dans les séries
ambitieuses comme le sera Jours de Guerre en 1989-1995. Les 20 ans qui
vont suivre (1968-1988) seront d’ailleurs d’une extrême richesse
historique à la RTB même si les programmes ne sont pas organisés en séries
de longue haleine mais souvent en petites séries de trois à huit programmes
où la seconde guerre mondiale est majoritaire. En effet, les programmes
historiques sont une tradition chez nous et hormis des émissions diffusées
ponctuellement, ils ont presque toujours pris la forme de projets de moyenne
ou grande ampleur, mais toujours liés à des commémorations importantes ou
aux grands moments de l’histoire nationale contemporaine.
Face
à cette émission mythique, les programmes sur la deuxième guerre mondiale,
font presque pâle figure. Bien sûr, la RTB ne manque pas le débarquement en
reprenant en direct les Cérémonies
commémoratives à Utah Beach en Eurovision et en intégrant la séquence Le
6 juin 1944 dans Neuf millions,
notre Cinq colonnes à la une, mais elle passe à côté
de D-day
plus 20 years : Eisenhower returns to Normandy
(ou D-day 20 ans après) le reportage - documentaire américain de la
CBS de William Palmer où
Walter Cronkite accompagne le général Eisenhower, revenu sur les plages du débarquement
qu’a diffusé la BRT, la BBC, la télévision hollandaise et la télévision
allemande.
Si
la libération du pays proprement dite est évoquée par le double programme
maison attendu Il y a 20 ans la libération de la Belgique, c’est la Bataille des Ardennes qui, en plus des cérémonies commémoratives,
va être à l’origine de la production
la plus originale de l’année. La RTB coproduit avec la NBC le
document de montage de 45’ Il y a 20
ans l’offensive de la dernière chance ou Bataille des Ardennes, il y a 20 ans … l’offensive von Rundstedt
de Frans Felitta. Ce montage d’archives allemandes et américaines, de plans
de paysages ardennais, de photos et de cartes animées est intéressant car il
y ajoute les témoignages d’à peu près tout ce qu’il reste d’officiers
supérieurs impliqués dans la bataille (Général Omar Bradley, Général Mac
Auliffe, Brigadier Bruce Clarck, Commandant Ernie Harmon de la 2ème
division blindée, von Manteuffel commandant de la 5ème armée
blindée allemande), d’un GI qui se trouvait à Elsenborn, d’un sergent américain
et de quelques civils belges encore considérés à l’époque comme « simple
spectateurs ». Le document est tellement « définitif » que
la RTB, et c’est une méchante habitude qui durera jusqu’aux années 90,
le saucissonnera en 1969 pour le programme Noël
44 de la série 25 ans après et en 1984 pour la série 44-84.
La Bataille des Ardennes.
Remarquons
donc que la RTB ne se lance pas dans une vaste production propre sur le second
conflit alors qu’elle le fait pour le premier. Les raisons peuvent en être
multiples : une prudence exagérée face à un conflit récent, pas
encore d’équipe formée et rompue à la recherche d’archives sur cette période,
impossibilité de mener de front deux programmes aussi ambitieux, littérature
historique encore en gestation ou plus simplement pur hasard car en 1965, débute
la série 25 ans après qui ne traite
que du second conflit mondial.
1969-1970
Pour
le 25ème anniversaire de la libération, entre quelques émissions
ponctuelles sur le conflit et des programmes spécifiques à « l’année
Napoléon » qui fait nettement moins de dégâts chez nous qu’outre
– Quiévrain, la
RTB propose Vingt-cinq
ans après, une
série typique de la période
brillante mais confuse qui commence pour l’histoire contemporaine à la RTB.
Le
projet initial, L’Entre-deux-guerres,
prévoyait 18 émissions de 60 à 90 minutes, échelonnées sur trois
ans à raison de six émissions par an sans périodicité fixe. L’équipe
d’origine est constituée des réalisateurs Daniel Vos, Jacques Cogniaux,
Michel Stameschkine et des journalistes Michel Fransen, Jacques Bredael, Alain
Nayaert, les principaux acteurs du documentaire historique télévisé belge
des années 60-90 avec Philippe Dasnoy. La réelle nouveauté est
d’introduire dans cette équipe des conseillers historiques issus des trois
universités francophones et de l’Ecole royale militaire. Les futurs
programmes devaient se structurer en trois parties chronologiques : Du Traité de Versailles au Traité de Sèvre ou la liquidation de la
guerre (1919-1925), De l’Europe
remodelé à la crise américaine et à la montée du fascisme (1925-1933)
et De l’Arrivée d’Hitler au pouvoir
à la guerre (1933-1939).
En
plus de 1940
en 1965, premier opus d’un Vingt-cinq
ans après qui
ne dit pas son nom,
L’entre deux guerres
commence donc début 1969 une brillante carrière avec Vainqueur ou vaincu sur les premières années de l’après-guerre,
Gauche - droite Mussolini
sur son arrivée au pouvoir et Albert
1er de Belgique essentiellement sur le roi après la première
guerre.
Mais
le projet avorte bientôt en raison de réductions budgétaires parallèles à
une augmentation des coûts et d’un programme d’austérité touchant la
RTB qui lui fait renoncer à de nombreuses émissions. Nous
n’avons jusqu’à présent aucun indice pour affirmer une quelconque volonté
autre que budgétaire. C’est d’autant plus vrai que les premières Télé
mémoires où s’expriment avec une très grande franchise les anciens
ministres belges de 1940-1944, sont déjà passé par là et qu’une génération
nouvelle d’historiens essentiellement issus du Centre de recherche et d’étude
sur la Seconde guerre mondiale se penche sur la période. Même si on
escamote les années 30 et les premières années de la guerre, il semble bien
que c’est l’argent et non une
quelconque peur d’étudier un sujet « brûlant » comme la pré
collaboration en Belgique ou Question royale qui fait avorter le grand projet
de poursuivre 14-18. Journal de la Grande guerre dans L’entre-deux guerre et le font remplacer par le moins ambitieux Vingt-cinq
ans après « consacré à la commémoration des grands évènements
de l’année 1944-1945 ».
Malheureusement, cela a une grande importance pour l’histoire télévisée
belge qui voit brisée sa continuité logique.
La
nouvelle série reprend donc une chronologie qui est au centre de ce colloque.
D’abord des programmes qu’on attend comme Overlord,
le 6 juin 1944 en juin 1969 qui souffre de la comparaison avec la française
La Bataille de Normandie et avec la
fiction Le Jour le plus long ou Septembre
44 : La libération en septembre 1969. Ensuite des programmes plus spécifiquement
liés à l’histoire du pays libéré comme Noël
44 : La Bataille des Ardennes diffusé le 24 décembre 1969 avant la
messe de minuit qui a lieu à Bastogne qui reprend beaucoup de la production
belgo américaine déjà citée plus haut et Les Belges dans la guerre
en mai 1970, une émission « à hauteur d’homme
qui laisse la part belle à des hommes qui durent faire la guerre malgré
eux ». Notons qu’en plus de Quand
s’ouvrent les grilles dans la même
série en mars 1970 sur la libération des camps en général, les cérémonies
commémoratives du 25ème anniversaire de la libération du camp de
Breendonk suscite la réalisation du documentaire Dialogue ouvert : Breendonk, une rencontre entre jeunes et anciens détenus.
Cette
série est capitale car elle fixe pour un quart de siècle l’historiographie
télévisée francophone belge : programmes aux préoccupations
nationales, primauté de l’histoire contemporaine et particulièrement de la
Seconde guerre, abandon d’une orientation trop didactique qui caractérisait
certaines émissions historiques antérieures, mélange de gravité et de
spectacle plaisant ancré dans le souvenir des spectateurs, outrance
dans l’usage de l’anniversaire prétexte, création du triptyque
journaliste – réalisateur – historien référent, indépendance très
marquée des équipes, improvisation systématique mais souvent géniale.
Le manque chronique de moyens par rapport à ses grands voisins
obligent aussi la RTB à recourir systématiquement au témoignage ou
à l’archive privée de « ceux de chez nous », à adapter en
français contre abandon des droits des programmes britanniques et américains
bon marchés car largement rentabilisés, à vampiriser à bon compte les
archives des mêmes programmes et à établir de très bonnes relations avec
les centres d’archives français avec qui on négocie pied à pied des
accords avantageux. Ce
sont les caractéristiques de ce que j’appelle l’école belge du
documentaire historique télévisé qui s’installent avec Vingt-cinq ans
après.
Le
programme est bien accueilli par la critique qui le récompense par deux
Antennes de cristal et une nymphe d’or. Par contre, on n’a peu de
renseignements sur l’accueil du grand public à part peut-être dans une
presse qui nous permet d’appréhender les
réflexions que peuvent susciter ces « montages historiques à la
belge » sur la période 1944-1945 et plus généralement sur la seconde
guerre. L’essentiel des
réflexions se concentre autour de trois sujets : l’émotion du
souvenir, la question des jeunes et la polémique latente de la Question
royale.
Assez
unanimement et au-delà des clivages, l’émotion est indéniablement présente
dans bon nombre d’articles, née soit de la seule force des images d’une
grande qualité émotive, soit du réveil des souvenirs des rédacteurs qui revivent
grâce à Septembre 1944 :
La Libération, l’émotion joyeuse qu’ils avaient ressenti à l’époque.
Philippe Dasnoy avait déjà pressenti le phénomène dans une interview présentant
l’émission au Moustique : « L’euphorie,
l’enthousiasme – Effectivement <…> il s’est passé à Bruxelles
le trois septembre des choses extraordinaires. Dans toute leur traversée de
la France, les anglo-américains n’avaient pas encore connu cela. Tous les témoignages
concordent. Le phénomène bruxellois, le phénomène belge est unique :
une explosion de joie populaire sans précédent ». Par contre Quand
s’ouvrent les grilles
est l’occasion de raconter une autre forme d’émotion entre
commisération et pitié, une démarche certainement inconsciente des
auteurs de Quand s’ouvrent les grilles
mais dont on peu soupçonner la télévision des années 90 d’avoir un peu
abusé.
La
question d’une télévision historique à destination de l’édification
des jeunes générations est le pont aux ânes de l’historiographie télévisée,
particulièrement chez nous. Comme pour le Journal
de la Grande guerre et les Télé Mémoires,
sans même parler des programmes futurs, l’évocation de la libération dans
Vingt-cinq ans après est l’occasion de réflexions sur les intérêts
divergents des générations. Les auteurs s’en expliquent en se rendant bien
compte de la difficulté de contenter à la fois les témoins passifs ou
actifs des évènements mais aussi les plus jeunes pour qui selon la
presse « la seconde guerre mondiale est aussi éloignée de leurs préoccupations
que les guerres napoléoniennes ». Certains rédacteurs, vont même
rendre une émission qu’ils n’aiment pas, responsable d’un conflit générationnel
qu’ils ne maîtrisent pas, sur le souvenir de la Seconde guerre. Mais au delà
de l’histoire à la télévision, ces propos sur les jeunes génération
montrent aussi une évolution dans la pensée des auteurs d’articles. Ils
sont toujours en activité et dans la force de l’âge de leur profession,
mais se rendent compte que leurs enfants sont devenus des adultes avec une
pleine conscience et des valeurs propres construites sur des référents
historiques différents des leurs. Sans atteindre ce que connaît
l’Allemagne au même moment, quelques extraits du programme mettent en
difficulté morale les générations plus anciennes qui sont obligé ici
d’assumer leur passé face aux plus jeunes, essentiellement autour de la
question du rexisme et de son chef Léon Degrelle. Dans
le même ordre d’idée mais plus amusant, une autre polémique un peu étrange
qui avait déjà fleuri à l’occasion de l’apparition d’Alain Nayaert
dans Le Journal de la Grande guerre
cinq ans plus tôt ressurgit : celle de la jeunesse de certains de ses
auteurs. On leur dénie le droit de parler d’évènements qu’ils n’ont
pas vécu en tant qu’acteurs agissants.
Pourtant,
parler de controverses voire de polémiques pour cette série, et particulièrement
pour l’épisode sur la libération, est largement une exagération de
langage. Si Philippe Dasnoy dans une autre interview au Moustique
se demande s’il est temps de s’intéresser à certains « sujets qui
fâchent », il faut bien reconnaître que s’il y a polémique, elle se
fait à fleuret moucheté. Côté presse catholique Le Ligueur met au
pilori l’idée cynique et certainement pas désintéressée que les belges
n’étaient préoccupés que par leur estomac et fait allusion à un phénomène
que la télévision envisage assez peu car peu spectaculaire : la volonté
après la libération de réformer la société. Il regrette que Vingt-cinq
ans après se contente de la libération visible. Côté presse de gauche
et syndicale, La Wallonie parle de la question de la collaboration et
de la répression, en comparant Flandre et Wallonie et surtout profite de
l’occasion pour régler quelques comptes politiques avec les Ministres de
Londres qui sont retirés des affaires depuis longtemps mais presque tous
encore vivants. Paradoxalement, cette rancune n’a pas pour objet la libération
ni même la période de guerre mais bien l’après-guerre et met en lumière
la principale faiblesse de la série et par la même occasion de l’histoire
à la télévision belge à cette époque : l’absence de la Question
royale et de ses origines, selon moi le seul point réellement tabou dans
l’historiographie belge du temps. Si les Télé
Mémoires en 1968, Vingt-cinq ans
après en 1969 et Les Grands
dossiers en 1974 l’éludent tout en « tournant autour du pot »,
il faut attendre le travail, d’ailleurs critiqué, de Christian
Mesnil en 1975, a destination d’une exploitation en salle et passant
d’abord sur la télévision française dans les Dossiers de l’écran,
pour qu’elles apparaissent enfin dans l’histoire télévisée. L’Ordre nouveau de Maurice De Wilde sur la BRT, mais repris sur la
RTBF, permettra aussi de remettre la Question royale à l’avant-plan.
Pour
le reste, les émissions sur la seconde guerre et la libération ne concernent
que la Bataille des Ardennes et encore dans des série fort peu historiques :
Ce Pays est à vous sur Bastogne
qui présente des
documents sur l’Offensive von Runstedt et Portrait
sur la ville et le « tourisme de guerre ».
Côté
BRT, sans regrouper ses émissions
dans une série spécifique, la télévision flamande reproduit néanmoins le
schéma de Vingt-cinq ans après
adaptés à la sensibilité locales. Elle produit en propre l’évocation
en deux parties par le Professeur Charles de l’Ecole royale militaire de La Libération de la Belgique mêlant témoignages et archives filmées
et achète les documentaires britannique D-Day
et Arnhem septembre 1944 tout
en programmant une fois de plus Battleground le
film de guerre américain de William Wellman de 1949 sur les combats autour de
Bastogne.
Pourtant,
la seconde guerre n’est pas absente des programmes belges. L’équipe
Nayaert – Cogniaux - Charles s’est attelé à Résistance, une
autre série de taille moyenne qui veut retracer certains aspects de la résistance
belge pendant la deuxième guerre mondiale en abordant un cas particulier
comme exemple d’une situation plus générale. Trois épisodes sur quatre
sortent de notre propos et pourtant préparent la libération : L’Affaire
du Bois du Cazier qui raconte avec très peu de documents l’attaque par
la résistance du dépôt d’explosif du charbonnage et le dynamitage des
installation, L’Attaque du vingtième convoi qui raconte l’attaque
désespérée et bricolée de trois résistants belges isolés d’un convoi
de déportés pour tenter de libérer des déportés et Follow-me - Le Réseau
comète qui décrit le réseau d’évasion d’Andrée De Jonghe en
suivant les aventures d’un aviateur britannique de son écrasement dans les
Ardennes à la frontière espagnole.
Il
faut attendre 1976 pour que Jacques Cogniaux, seul cette fois, mette en lumière
un épisode de la libération peu connu en dehors de chez nous mais capital
pour la libération de l’Europe. Dans Un port pour la victoire, il
fait avec de nombreux témoins présentés in situ, le récit de la libération
du port d’Anvers et des bouches de l’Escaut en mettant en avant l’action
de la résistance pour la sauvegarde du port et des troupes belges dans l’île
de Walcheren.
1984-1985
Alors
que le quarantième anniversaire de la libération et de ses évènements
connexes est exceptionnellement bien présent sur beaucoup de télévisions,
les émissions documentaires qui deviennent souvent au milieu des années 80
des produits exportables, reproduisent toutes le même schéma chronologique
ou commémoratif.
La
RTBF, télévision d’un pays qui redevient quarante ans plus tôt une zone
d’opérations militaires se fond aussi dans ce moule mais consent pour l’événement
un très grand effort : reprise des cérémonies commémoratives du
quarantième anniversaire du débarquement, étude sur sa préparation dans
les milieux des collectionneurs « militaria » (6 juin 1984 : le jour le plus long – deuxième),
journée spéciale d’évocation en prélude aux cérémonies de commémoration
sur le premier programme radio, retransmission en direct de l’esplanade du
Cinquantenaire des cérémonies commémoratives
du quarantième anniversaire de la libération de la Belgique, série
de cinq journées spéciales en direct de la ville (Noël
à Bastogne), reprise de la messe
de minuit en Eurovision, programme radio étalé sur trois semaine (La
Bataille des Ardennes au jour le jour), parrainage de la sortie de deux
livre et de deux audiocassettes.
Mais
c’est dans la série 1944-1984 qu’elle va évoquer le mieux la libération
du pays et la désillusion des combats des Ardennes, en proposant un produit
original qu’elle réussira même, inversant sa tradition d’adaptation, à
exporter vers la Grande-Bretagne. 44-84
est en fait le titre générique d’une collection produite presque entièrement
par les centres régionaux de Charleroi et de Namur de la RTBF. La série réuni
10 documentaires de durées variables (entre 45 et 90’) divisés en deux périodes :
La Libération (5 programmes) et La
Bataille des Ardennes (5 programmes). La Libération comporte deux
programmes géographiques (La Libération
de la Wallonie et de Bruxelles et
La Libération de la Flandre et
de Bruxelles / Bevrijding
produite par la BRT) et trois programmes thématiques tout à fait novateurs (Elles
sur les femmes dans la guerre et à la libération, Les Belges
dans la victoire sur l’armée
belge de 1944 et Déposez armes sur le désarmement délicat à la libération de
la résistance dont on craint un coup d’état de la part de son aile
communisante). La Bataille des Ardennes, qui réuni les mêmes et Peter
Thomas de la BRF pour les programmes qui touchent les cantons de l’est, est
plus chronologique : Brouillard d’automne une
trop longue introduction à la situation politique et militaire avant la
bataille, La
Percée sur l’invasion à
partir du 16 décembre 1944, L’Enlisement sur la « viscosité » de l’offensive
allemande freinée par une résistance de plus en plus forte des américains, Coup
d’arrêt sur la Meuse sur le blocage de l’offensive et l’arrivée
des renforts américains comme la 101ème et la 82ème aéroportée
et Nuts presque exclusivement
consacrée aux combats autour de Bastogne, un peu laissée à l’abandon par
les autres épisodes.
La
petite équipe de base (Luc Rivet, Yvan Sevenans, Anne Fontaine), tout en
respectant les habitude formelle des programmes historiques « à la
Belge » héritée de Jacques Cogniaux, qui ne participe pas à
l’aventure accaparé par l’adaptation en français de la série BRT L’Ordre
nouveau, va plutôt s’inspirer d’Inédits
également produite par la RTBF-Charleroi. Sans doute historiquement la plus
innovante de la télévision belge, cette émission qui existe toujours, compile
depuis 1980 des documents
amateurs glanés dans tous le pays et commentés par ses auteurs,
essentiellement issus de la petite classe moyenne des années 30-70. André
Huet son producteur participe d’ailleurs comme attaché de recherche au
projet 44-84.
Quelques-soient
ses épisodes, 44-84 insiste dès le départ sur
l’importance
« du côté humain » de la libération et des combats postérieurs
notamment en usant systématiquement de nombreux documents d’amateurs et
surtout des témoignages des « petits » de la guerre, civils et
soldats. Le fait que, contrairement aux programmes étrangers, tout le monde
reconnaît les routes, les villages, les noms de chez nous aide aussi au succès
de la série. De plus, en 1984 seule la RTBF produit une émission complète
sur la bataille, montrant si c’était nécessaire l’importance qu’elle
tient dans notre mémoire comme dans celle des américains.
44-84
est le succès historique de l’année pour la RTBF, loin devant L’ordre nouveau qui au même moment coupe en quatre les cheveux de
la collaboration. Tous les épisodes plaisent beaucoup au public peut-être
simplement parce qu’ils sont très visuels, présentent moins de longues
interviews mais plus de documents filmés et donnent une image moins élitiste de
la guerre en préférant le quotidien du civil. Témoin de cet intérêt, le
courrier des spectateurs particulièrement abondant tant par le nombre de
lettres que par le nombre de feuillets écrits par un public manifestement peu
habitué à l’exercice. L’écrasante majorité consiste en souvenirs,
souvent intéressants ou poignants venant fort logiquement de la province de
Luxembourg et de la province de Liège. Par contagion, La libération
et La bataille des Ardennes sont l’occasion pour les centres
culturels, les clubs photo ou ciné-clubs locaux de proposer une série
impressionnante de documents plus ou moins bien élaborés, souvent prétextes
à débats.
En
fait La Bataille des Ardennes est un
choc pour beaucoup, y compris pour les habitants des régions où elle s’est
passée quarante ans auparavant. En resserrant le champ des caméras sur les
civils dans la bataille, elle devient pour l’extérieur mais aussi pour
beaucoup d’entre eux, le révélateur des souffrances qu’ils ont pourtant
vécu. La Bataille des Ardennes
a été, souvent pour la première fois depuis décembre 1944, l’occasion de
parler pour des témoins marqués à vif. L’un d’eux dira par exemple
quarante ans après, le « goût amer et âcre » qu’a laissé
l’offensive Von Rundstedt dans le sud du pays. L’émotion est ici au cœur
de la réalisation.
Ce
qui est plutôt rare pour un documentaire sur la Seconde guerre quarante ans
après, 44-84 interpelle vigoureusement le spectateur belge en ramenant
les souvenirs sombres de décembre 44 – janvier 45 un peu enfouis dans la mémoire
par le bonheur de la septembre 44.
L’empathie
naturelle du spectateur pour le témoin est aussi à l’origine du succès de
la Bataille des Ardennes. La
sympathie, n’est pas la moindre des qualités de la série. Derrière la
grande stratégie, les mouvements d’armée, les offensives et les retraites,
les réalisateurs ont voulu donner sa vraie place à la dimension humaine. A
travers ceux qu’ils font parler. Ils ont le souci de montrer ce que furent
ces milliers de destins personnels impliqués dans une histoire qui les dépassaient
mais qui pouvait leur être fatale. Rarement à notre connaissance, une série
télévisée n’avait rendu l’histoire aussi proche.
Plus
simplement, on peut se demander si le succès du programme n’est pas
simplement du à ce qu’il arrive à point. A un moment où le temps passé
permet au témoin de parler de ses souffrances, mais suffisamment proche pour
qu’il reste encore des souvenirs utiles. La
Bataille des Ardennes compile des témoignages au moment où parlent aussi
abondamment, les déportés raciaux. Il y a curieusement à la télévision
belge francophone un parallèle chronologique entre la parole douloureuse des
ardennais et celle des déportés.
Enfin,
sans même parler de l’émergence de Centres régionaux depuis 1974 et émissions
« régionalistes » plus ou moins artificielles produites en
Belgique, La Bataille des Ardennes
est certainement la première série authentiquement régionale où une
majorité de Wallons se reconnaît comme l’exprime le rédacteur du magazine
TV Jour : « Ainsi cette série nous procure-t-elle une émotion
d’un type particulier. L’histoire nous rattrape au tournant et nous prend
par le bras, car ces hommes et ces femmes qui nous racontent leurs souffrances
sont de chez nous, ont notre accent, parlent de choses que nous connaissons
bien, tout comme les paysages où tout cela s’est passé ».
1994-1995
Nous
sommes face à un paradoxe pour expliquer le cinquantième anniversaire de la
libération et des évènements connexes dans notre pays. En effet, alors que
le contexte est extrêmement favorable à la multiplication des programmes prétextes,
la RTBF est la seule chaîne étudiée à voir le nombre de ses programmes
historiques diminuer, alors que la France connaît une remarquable explosion, témoin
de l’importance des commémorations
liée au cinquantenaire.
Mais
en fait, loin de l’ignorer, la RTBF a anticipé les commémorations en
produisant depuis 1989 la série de prestige Jours de guerre,
d’ailleurs largement financée par une banque, encore belge à l’époque.
Jours
de guerre se veut la chronique fidèle de la situation quotidienne des Belges
durant l’occupation avec des documents d’époque, des témoignages et des
reconstitutions. Paradoxalement, si elle ne peut exister sans les célébrations
du cinquantenaire, elle n’est pas, à quelques exceptions près, commémorative
même si elle suit la chronologie des évènements. Jacques Cogniaux qui est
au centre du projet meurt rapidement et une équipe se constitue en réunissant
des anciens des programmes historiques et des gens venus essentiellement des
programmes d’information. Au fil des années, l’équipe va gonfler
jusqu’à atteindre une bonne trentaine de collaborateurs. Chose remarquable,
pendant les cinq années du projet, l’équipe reste pour l’essentiel fidèle
au plan de départ et à la structure mensuelle : La
Guerre dans le monde sur les évènements politiques et militaires du
mois, Les Belges sous l’occupation sur la guerre au quotidien, L’Air
du temps sur la vie sociale et culturelle sous l’occupation. Par contre,
les rubriques A Chacun sa vérité qui veut montrer en « version originale »
un événement vu par l’un ou l’autre camps et Dans
les départements du nord en
collaboration avec l’université de Lille et Nord Eclair sur la vie
des départements français administré depuis Bruxelles n’auront qu’une
existence éphémère ou ne verront jamais le jours.
La
radio propose dès le 5 mai 1990 un autre Jours
de guerre hebdomadaire, composé de trois émissions chrono thématiques
et d’un débat par mois suivant l’émission télévisée. Elle met en évidence
les archives sonores, les commentaires des grands et petits acteurs de la
guerre et le témoignage de belges sur la vie quotidienne d’un pays en
guerre. Le travail fourni est remarquable et les sujets sont souvent plus
fouillés que dans l’émission de télévision. Ils sont plus proche encore
des préoccupations régionales supposées des auditeurs et sont souvent plus
scientifiques. L’idée de génie de la série est de consacrer 45 minutes
mensuelles aux questions des spectateurs où, en plus de clarifier quelques
points trop rapidement envisagés dans l’émission de télévision, peuvent
s’exprimer témoins et historiens. Enfin, le programmes est plus souple et
contrairement à la télévision qui utilise les travaux d’historiens sans
les faire apparaître à l’antenne, la radio recours régulièrement à
leurs services tant comme intervenant dans les séquences que comme invités
aux débats. On peut donc y « chatouiller »
quelques points délicats de
l’histoire belge, dégonfler quelques « canard » et être fort
proche de l’historiographie du moment par l’évocation explicite des
publications
La
série atteint ses objectifs de départ : réaliser un programme mensuel
sur cinq ans combinant l’histoire générale du conflit et « la guerre
vue par les Belges ». Comme son illustre précédent 14-18, elle récapitule les connaissances du moment sur le conflit,
offre un spectacle de bonne qualité, met en évidence des centres de
recherche spécialisés et sauve de l’oubli des témoignages précieux. On
peut même dire que les objectifs sont dépassés car sa durée est plus
importante que le programme des années 60, car elle intègre des « sous
séries », des directs et des débats d’un intérêt certains. En
plus, elle laisse des dossiers importants cédés au CEGES et est accompagné
d’une publication scientifique de longue haleine.
L’habitude
est donc prise d’évoquer la seconde guerre mois après mois à tel point
qu’à part les Journaux télévisés et la reprises des programmes en
direct, du débarquement aux cérémonies du V-Day, c’est l’équipe de Jours
de guerre qui phagocyte les programmes spéciaux commémorant parfois
d’une façon paroxysmique, la libération dans Jours
de libération
ou la bataille des Ardennes
dans
Ardennes 44.
A
l’origine, la libération ne devait être célébrée que par un simple
programme spécial. Le projet va grossir petit à petit au fil des réunions
pour aboutir à dix programmes télévisés commémoratifs en direct, en plus
des habituels Jours de guerre,
renforcé par une action radio exceptionnelle. Dans un premier temps, fin
1993, la RTBF semble prévoir des commémoration dans les grandes villes, mais
rapidement, à part Bruxelles, elle se tourne vers des entités plus petites
qui ont connu des évènements particuliers lors de la libération
(parachutage des SAS belges, arrivée du premier soldat allié, premières émissions
de la radio nationale belge libérée). Des animations retransmises par la télévision
sont prévues dans les communes étapes (concert de Jazz, défilé de véhicules
militaires d’époque, animation par projecteurs de défense aérienne)
suivies d’animations hors antenne souvent d’initiatives communales
(spectacle pour les personnes âgées, Te Deum, cérémonies aux monuments aux
morts, expositions diverses). L’effort est de taille et réuni tous les
Centres de production radio-télévision, le service de promotion et une firme
extérieure. L’équipe habituelle, qui assure toujours la production Jours
de guerre, prend aussi en charge la production des séquences
documentaires et les tâches logistiques. La RTBF bénéficie également de la
« coopération matérielle » des ambassades des Etats-Unis, de
Grande-Bretagne et du Canada, du Comité du cinquantième anniversaire, de
l’Office de promotion du tourisme et des communes qui disposent déjà
d’un projet propre qui va parfois être fusionné avec celui de Jours
de libération comme à Bruxelles, Momignies, Visé et Gedinne. Chaque épisode
est précédé d’une intervention dans Info
première (radio) et d’un « insert » dans le Journal télévisé montrant un « direct d’ambiance »
à partir du plateau de Jours de libération.
Même
si les choses semblent changer aujourd’hui, la comparaison des méthodes
utilisées pour célébrer le cinquantième anniversaire de la libération et
des évènements connexes par les chaînes de télévisions reçues en
Belgique en 1995 est très intéressante. Si la RTBF préfère un programme
structuré et un effort à long terme, quitte à intégrer d’autres projets
parallèles, la France va multiplier les émissions prétextes de tous types
et souvent d’une bonne qualité : retransmissions en direct, récits,
courtes séries, documentaires souvent sur des sujets pointus, programmes
consensuels ou « poils à gratter », fictions. La Grande-Bretagne
et dans une moindre mesure l’Allemagne useront de la même méthode mais à
une échelle moindre.
Par
contre, si certains évènements de 1945 comme le V-Day ou la libération des
camps en partie à l’origine des valeurs fondatrices de l’Europe
contemporaine sont unanimement célébrés, et même si on sait que le contenu
des programmes peut rappeler ce qui touche l’autre, il est amusant de
constater qu’en gros chacun se moque de l’histoire de ses voisins et célèbre
la libération au sens strict avec ses propres habitudes.
La
France par exemple, va envisager le débarquement de Normandie et la libération
de son territoire jusqu’à l’overdose mais, à une exception près, ignore
superbement les évènements postérieurs. On
a l’impression qu’après août 1944 la guerre n’est plus pour les français
qu’on long no man’s land jusqu’à la capitulation. S’il est normal que
la libération de la Belgique ne suscite pas en France un enthousiasme délirant,
la discrétion sur la Bataille des Ardennes est moins opportune car les
troupes françaises livreront dans l’est du pays de durs combats durant
l’hiver 1944-1945. Il est aussi étonnant que la BBC, qui a bien évidemment
mis le paquet pour le débarquement, ne parle pas de la bataille des Ardennes
car ses troupes livrent également de durs combats dans le nord du front. Elle
sera également très discrète sur la libération de la Belgique alors que
ses troupes ont libérés le nord du pays.
L’Allemagne,
à l’exception de sa participation à Arte, et les Pays-bas ne fourniront
des programmes « libération » que pour le V-Day et pour la libération
des camps. Si c’est surprenant pour les Pays-Bas qui connaissent pourtant
dans le sud une libération « à la belge », il est vrai endeuillé
par l’échec d’Arnhem et par la famine de l’hiver 44-45, c’est plus
compréhensible pour l’Allemagne. En effet, il ne doit pas être facile pour
le spectateur allemand âgé, de passer les quelques mois de juin 1994 à mai
1995. .
Je
voudrais conclure pourtant par un exemple de production qui contredit entièrement
la tendance générale décrite plus haut et qui montre que deux pays aux
traditions historiques différentes peuvent produire une œuvre aux préoccupations
commune. De
part et d’autre de la frontière, les télévisions locales consacrent des
programmes spéciaux à la commémoration de la libération. Côté belge, No
Télé produit la remarquable série La
Libération dans la Hainaut qui n’hésite pas à lorgner sur le proche
voisin français tout en compensant les rares archives par de très bons
interviews. Côté français, FR3 Nord – Pas-de-Calais – Picardie propose
juste après, une aussi remarquable journée spéciale La
Libération du Nord – Pas-de-Calais aux préoccupations semblables.
2004-2005
Malheureusement,
la conclusion de Jours de guerre semble correspondre à la fin d’une
époque à la télévision belge francophone. Même si l’émission mensuelle
Les Années belges reprend le flambeau de l’histoire nationale à la
RTBF pendant un peu moins de dix ans, qu’à l’exemple de la BRT depuis
quelques années une case spécifique à l’histoire trouve sa place sur la
deuxième chaîne et que l’émission Archive
s’intéresse enfin systématiquement au patrimoine de la télévision belge,
les « équipes histoire » et les budgets semblent fondre tandis
qu’on semble préférer l’achat de produit « clés sur porte »
L’évocation
du soixantième anniversaire de la libération fait piètre figure par rapport
aux deux décennies précédentes. En effet, si les cérémonies commémoratives
du débarquement et de la bataille des Ardennes sont toujours diffusées, les
programmes documentaires propres sont rares. Pas grand-chose pour la libération
à part la récupération par Les Années
belges des vieilles séquences de Jours
de guerre. Pour l’avenir, la presse a annoncé pour le soixantième
anniversaire de la libération des camps et de la défaite du nazisme des JT décentralisés,
quelques années belges spéciales et « des films de qualité
d’origine française et britannique ».
Dans un étrange retour aux sources, et même si l’actuel responsable des émissions historiques le nie farouchement, il semble qu’une RTBF impécunieuse, préfère l’achat économique de programmes étrangers à une « équipe histoire » au dessus de ses moyens, quitte à abandonner la spécificité historique du pays.