La question coloniale à la RTBF depuis les années 1960   ...


J. GREGOIRE, La question coloniale à la RTBF depuis les années 1960 (Colloque international organisé par Olivier Dard - Université Paul Verlaine Metz et Daniel Lefeuvre - Université Paris 8 Saint-Denis en partenariat avec Études coloniales : L'Europe face à son passé colonial - Histoire, mémoire et débats publics contemporains -Approches comparatives,  Metz, 25-26-27 avril 2007).

Extraits


Attention, le contenu de ces textes représente la situation au moment de la redaction.



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Après ce regard franco-belge, passons maintenant plus précisément aux productions propres de la RTBF sur la question coloniale. 

D’abord, avant même de parler d’histoire pure, on doit rappeler que le Congo est à l’origine de ce goût pour les magazines d’’information sur lequel se bâti la télévision belge des années 60 car ce sont sans doute les « troubles » de juillet 1960 qui permettent aux nouvelles équipes du JT et de Neuf millions de gagner leurs galons de professionnels de l’information.

L’annonce des événements est faite le 8 juillet 1960 à midi et dès 22 heures, une équipe de Neuf millions (les reporters Jean-Marie Delmée et Roland Lommé, le caméraman Bob Sentroul) prend le DC 6 de la Sabena à destination du Congo. Elle transmet ses premières bobines dès le 9 juillet et poursuit ses reportages. De manière extraordinaire, Micro magazine, journal officiel de l’INR, consacre, à deux semaines d’intervalle deux reportages au Congo qui avalisent symboliquement chez nous, peut-être sans s’en rendre compte, l’ascendant que prend à ce moment la télévision sur la radio dans le traitement de l’information. Dans le premier article qui relate le voyage de l’équipe de télévision, il n’est question que de vitesse, de reportages sur place auprès des réfugiés et de contact parfois rude avec « les noirs » (pas les congolais). Le journaliste parle avec ses tripes et raconte son expérience en usant des sentiments. Il utilise des phrases lourdes qui expriment un ressentiment à peine dissimulé. L’autre article, un reportage sur le service des ondes courtes de la RTB, est d’une sécheresse de sentiment et d’un détachement tel face à l’actualité qu’on a vraiment l’impression d’être à une autre époque. On parle bien sûr de « tragédie congolaise », mais on met surtout l’accent sur l’organisation technique et administrative en ne comprenant pas que dans quelques semaines il n’y aura presque plus de coloniaux. Chose curieuse, cet article rappelle le passé glorieux des émissions internationales pendant la seconde guerre sans même parler d’Henri-François Van Aal son journaliste sur place qui « baroude » seul ou avec l’équipe TV. Même les photographies illustrant les articles sont remarquablement différentes : les sept photographies de l’article sur la radio semblent extraites d’une plaquette d’informations à destination des enfants des écoles ; par contre la seule mais superbe illustration de l‘article sur la télévision au Congo montre l’équipe, caméra au poing, veste légère, appuyée sur une auto visiblement dans un aéroport. La tension de l’actualité est vraiment palpable sur le cliché mais elle est entre les mains de la télévision. De façon un peu drôle on voit d’ailleurs sur la photo au côté de l’équipe TV, un Henri-François Van Aal envoyé de la radio mais qui changera bientôt de média pour en devenir l’une des principales vedettes, très à l’aise à côté d’une caméra.

L’histoire télévisée sur le Congo à présent. Elle est chez nous est très consensuelle à l’image d’une télévision qui l’est tout autant. Même si ses membres revendiquent souvent un « journalisme de combat », on compte chez nous peu de scandales majeurs, sans doute parce que la télévision est institutionnellement le reflet d’une population où la tradition est au compromis et à la discrétion.  

Historiquement parlant, la décolonisation qui pose beaucoup de problèmes à nos voisins français, n’est pas vraiment en Belgique sujet à graves polémiques. Elle est rapidement étudiée par notre télévision, suscitant parfois quelques rares remous venant le plus souvent de Kinshasa … ou des « anciens ».  

D’abord, la RTB-BRT qui aime les anniversaires, propose rapidement une succession de programmes rétrospectifs plus ou moins historique sur le Congo : Congo an 1 (Prix Italia en 1962), Congo cinq ans après
(en 1965) qui fait le relevé des soubresauts de l’ancienne colonie depuis l’indépendance, Congo dix ans après (en 1970) ou Congo 25 ans après (en 1985).

Ensuite, dès 1966 la télévision belge francophone propose des programmes plus élaborés qui se distancient de l’actualité pour rentrer franchement dans l’analyse historique.

En 1966, La Chaise, une personnalité, un visage
, où une personnalité seule dans un décor minimaliste répond aux questions du journaliste censure Moïse Tshombe.

En 1970, seulement dix ans après l’indépendance, d’après son auteur une bonne période entre l’événement et la réflexion, les Télé mémoires congolaises, donnent la parole à des personnalités belges qui ont joué un rôle important dans l’indépendance du Congo. Cette série mythique de la télévision belge propose entre 1968 et 1985 des entretiens historiques de personnalités clés d’évènement contemporains qu’a connu notre pays. Elle comporte cinq périodes, une annexe et une postérité : Les Télé mémoires
« fondatrices » sur les évènements de mai 1940, les Télé mémoires congolaises, les Télé mémoires communautaires en deux époques, les Télé mémoires « des belges » et la postérité Les artisans de l’histoire. Elles n’usent volontairement d’aucun document d’époque mais se contentent de filmer, avec talent, la personnalité dans un décor réduit à sa plus simple expression. La démarche est scientifique par sa méthode et par l’implication d’historiens professionnels mais leur travail est un peu masqué pour le grand public par la présence envahissante à l’antenne du journaliste Henri-François Van Aal qui rappelons le est un des « héros » des reportages congolais de 1960.

Les Télé-mémoires congolaises donnent la parole à des personnalités belges qui ont joué un rôle important dans l’indépendance du Congo mais pas aux congolais. S’ils ne sont pas présents ce n’est pas la faute de la RTB mais bien de l’histoire qui a décimé leurs rangs. Ils sont morts comme Lumumba, Kasavubu et Tshombé ou en « liberté surveillée » comme Justin Bomboko. Côté belge, les principaux acteurs de l’indépendance sont là comme Jef Van Bilsen conseiller politique et ami de Kasavubu, Auguste De Schrijver Ministre du Congo Belge et du Rwanda en 1959, Colonel Van de Walle administrateur en chef de la sûreté au Congo, Pierre Wigny ancien Ministre des Affaires étrangères et le Général Janssens ancien commandant en chef de la force publique au Congo auteur d’un des rares mots historiques belges : « sire ils vous l’on cochonné ».

Les autorités congolaises ne semblent pas avoir vu d’un bon œil le programme, ce qui a un peu retardé sa mise à l’antenne. On peut d’ailleurs se demander, après la diffusion, ce qui a causé l’inquiétude de Kinshasa car loin d’être révolutionnaire, l’émission n’apporte ni révélations importantes, ni éclairage nouveau, ni d’ailleurs de polémiques. 

Quatre ans plus tard (1974), Les Dossiers de la décolonisation issus fortuitement de l’émission de radio Les Dossiers de l’après-guerre ne suscitent pas plus de réaction. 

Les Dossiers de l’après-guerre de Georges Wielemans du Centre de production de Bruxelles et de Jules Gérard-Libois
 devait faire le point sur « les grands évènements qui ont marqué la Belgique pendant la période 1945-1961 » de l’Occupation à la Construction européenne en passant par la Question scolaire mais à l’exception de la Question royale, peut-être le seul tabou de l’histoire télévisée belge. Les 13 épisodes de La Décolonisation clôturent la série. Composés de documents enregistrés et de témoignages suivis d’un débat en direct entre témoins de l’époque, le programme a, chose assez rare, un prolongement télévisé. Devant la qualité des émissions de radio, l’Administrateur général de la RTB demande que les débats soient enregistrés pour la télévision dès le deuxième épisode. Outre la volonté de faire une série de programmes bons marchés, la démarche dans l’air du temps s’inscrit dans le souci qu’a la télévision belge de préserver des témoignages comme l’ont fait les Télé Mémoires. Pierre Devos le meneur de jeu y débat avec ses invités du processus d’indépendance de la colonie. Même si d’après son auteur c’était très mauvais car « il est difficile d’adapter en télévision une émission de radio », la série est intéressante à plusieurs titres. D’abord, les sujets envisagés sont effectivement remarquables et font le tour de l’évènement et de ses conséquences (De la colonie à l’indépendance, La Sécession katangaise, Du Collège des commissaires à la mort de Lumumba, Rébellion et réunification, Provinces souveraines, rébellion et réunification, La Reconquête et le gouvernement Tschombé, Le Saut des paras belges sur Stanleyville). Ensuite, elle permet à un peu plus de dix ans des évènements d’en parler sans que la polémique ne soit trop vive mais comme on l’a vu ce n’est pas la première fois à la RTB. Enfin, le plateau des témoins belges est spectaculaire et leur permet, comme l’avaient fait les Télé Mémoires congolaise, de s’exprimer, donc de sauver leur propos avant que l’âge ne les décime.

Il faut attendre dix ans (1984) pour que la RTBF se lance avec Boula Matari
 dans un autre vaste projet sur le Congo mais contrairement aux programmes précédents, ce n’est plus l’indépendance du Congo qui intéresse mais bien la présence belge en Afrique centrale. C’est un tournant car on y parle plus de la colonisation que de l’indépendance. 

La série tente « de décrire ce qu’a été la colonisation belge au Congo » en « montrant ses nombreuses et différentes facettes de manière impressionniste sans vraiment suivre un ordre chronologique ». En d’autres termes, elle effectue un choix thématique qui se limite aux cinquante dernières années de la colonie excluant malheureusement l’histoire même de la colonisation léopoldienne et des royaumes de Grands lacs.

C’est sans doute le programme historique de la RTB qui a eu la plus grande gestation. Mais si le projet met dix ans à aboutir, ce sont seulement des raisons budgétaires et humaines qui l’ont ralenti. Dès mars 1969, Philippe Dasnoy
 propose à André Hagon un « projet de longue haleine qui a pour objet l’histoire du Congo ex-belge de 1870 à 1970 ». Vu l’ampleur de la tâche un plan de sauvetage des témoignages des survivants est proposé en parallèle à une demande publique de films d’amateurs. Malheureusement, dès l’origine, cette belle ambition a du plomb dans l’aile puisqu’on prépare les Télé Mémoire consacrée au Congo. En 1973-1974 les travaux préparatoires se poursuivent néanmoins et une  équipe semble se mettre en place. Puis, tout semble s’arrêter car la RTBF n’a pas les moyens de mener de front deux grosses séries historiques et préfère mettre toutes ses forces dans 1830 Chronique imaginaire d’une révolution. Il faut attendre 1984 pour que Joseph Buron et Michel Stameschkine proposent Boula Matari dont les six épisodes ressemblent assez à la première mouture : Dominer pour servir, Evangéliser, L’eldorado, La Vie en noir et blanc, Civiliser et La Fin des illusions.

Réalisé en collaboration avec le Musée de l’Afrique centrale de Tervuren qui conserve plus de 200 films tournées au Congo entre 1900 et 1960, ossature du documentaire, Boula Matari les complète par des films amateurs, des  témoignages d’acteurs de l’époque, noirs et blancs, recueillis en Belgique et au Zaïre et par l’intervention d’historiens.

Le débat un peu confus qui suit le dernier épisode de la série révèle la nécessité d’une plus large discussion. La RTBF saisi l’occasion d’une rediffusion six mois plus tard pour faire suivre systématiquement chaque épisode d’un débat beaucoup plus élaboré dont les raisons de l’organisation sont claire : protestation des anciens du Congo qui estiment que les auteurs mettent face à face « mauvais blancs - bons noirs » et mauvaises critiques dans la presse pour qui la série cumule beaucoup de défauts parfois contradictoires (fadeur malgré la richesse des archives, projection sur un passé lointain « de point de vue d’aujourd’hui et de projets de demain », volonté de justifier « à posteriori une politique aujourd’hui désuète et peu admissible par les mentalités actuelles », bonne intention artificielle). Ces débats thématiques (Administration territoriale et Force publique de l’ex-Congo Belge, Les Missions et En Faire des chrétiens, L’économie et Les Richesses du pays, La Vie quotidienne des colons, Enseignement et occidentalisation, Montée politique et décolonisation) qui rassemblent plutôt des « second couteaux », restent au grand étonnement de la presse courtois mais sont fort emprunté. On y parle de tout de la nostalgie pour « un âge d’or » antérieur à la colonisation aux réflexions sur la ségrégation dans la colonie, sur les moyens de répression, sur la misère des quartiers noirs, sur les problèmes du Zaïre actuel, sur le rôle de l’Eglise et des missions, sur l’africanisation des cadres et sur les Gouverneurs généraux
.

Deux ans plus tard (1986), la série aura une étrange postérité sur la BRT qui propose avec Kongo
 une étude classique et sans surprise de la colonisation belge, qui lorgne vers son précédent francophone. 

Quoi qu’il en soit, après Boula Matari, les choses sont dites à la télévision belge francophone sur le Congo et la colonisation. Seuls quelques programmes prolongent l’intérêt pour la colonie.

En 1988, la série Inédits
d’André Huet, qui pendant plus de vingt ans explore les « homes movies » belges et européens, se lance également dans l’évocation des dernières années de la colonie par l’intermédiaire des films familiaux, essentiellement des années 30-50, envoyé par des particuliers. Pourtant, si les quatre épisodes des Chroniques congolaises sont chargés d’émotion, ils apportent peu de choses nouvelles mais semblent clôturer l’analyse sereine des rapports entre la Belgique et le Congo.

Fin des années 90, Les Années belges, une série thématique un peu « heurtée » sur l’histoire de Belgique essentiellement dans l’après-guerre, créée dans la foulée de Jours de guerre d’heureuse mémoire, envisage le Congo dans seulement trois programmes mensuels sur 52 : Stanleyville 1964, des milliers de blancs au main des noirs (1997), Congo l’indépendance précipitée (1999) et une Soirée spéciale Patrice Lumumba (2000)

Par contre, il faut attendre des programmes plus politiques dans les années 90 pour que le Congo fasse frémir un océan d’indifférences : un débat postposé après La Légion saute sur Kolwezi dans L’écran témoin, le pamphlet antioccidental Du Zaïre au Congo
 ou Lumumba la mort du prophète une réflexion subjective, confuse et quelque peu étrange sur la colonisation belge au Congo, l’indépendance, la personnalité de Patrice Lumumba, son assassinat et les assassinats politiques en général.

Bref, si dans les années 60-80 on parlait d’histoire de façon consensuelle mais finalement assez neutre, dans les années 90, à l’exception des Années belges, on est plus nettement dans le registre de la politique mais ceci est une autre histoire.