L'usage pédagogique des archives télévisées


J. GREGOIRE,
L’usage pédagogique des archives télévisées (Colloque international Les usages des images d’archives au Musée royal de Mariemont, 24 septembre 2004).

Traditionnellement, lorsque l’on parle d’archives dans l’enseignement de l’histoire on pense au texte, aux cartes, aux schémas, voire à l’iconographie plus ou moins élaborée mais plus rarement aux archives audiovisuelles. En effet, même si la télévision est pour l’historien une source presque inépuisable de documents, l’usage pratique de ceux-ci souffre de contraintes qui en limitent l’accès. Nous ne parlons pas ici de ce qu’on appelle parfois pompeusement « l’éducation aux médias » car un professeur normalement doué peut appliquer sans difficulté aux documents audiovisuels, les techniques de la critique historique classique, mais bien des contraintes techniques, légales ou pratiques. Il est indéniable que côté technique, les contraintes se sont allégées au fil du temps avec l’introduction dans les écoles, souvent rapidement, d’outils nouveaux comme par exemple fin des années 50 - début des années 60 de la télévision qui a permis de s’affranchir de la contrainte du film documentaire 16 mm ; fin des années 60 de la cassette audio compacte qui a permis, surtout pour les profs de langues, de s’affranchir du disque ; fin des années 70 du magnétoscope qui a permis de s’affranchir des lourdeurs des horaires télévisés ; fin des années 90 du DVD qui a permis une multiplication des points de vision grâce au prix démocratique du hardware et un usage plus ciblé des documents grâce au chapitrage ; début des années 2000 des supports informatiques (MP3) qui ont permis de s’affranchir des contraintes de locaux au moins pour les archives audio. Par contre, d’autres contraintes risquent rapidement de rendre très difficile l’usage pédagogique de ces archives audiovisuelles. D’abord les contrainte d’accès. S’il existe des médiathèques plus ou moins bien fournies, il est actuellement impossible pour l’enseignant ou l’étudiant du secondaire d’utiliser directement les archives audiovisuelles si elles n’ont pas été publiées (commercialement ou sans but lucratif) ou si son professeur n’a pas constitué sa petite vidéothèque personnelle. Ensuite les contraintes financières. L’essentiel des documents montrés aux élèves ont été captés (enregistrés, achetés) sur fonds propres par l’enseignant. Or, sans compter le budget « hardware », nous sommes de plus en plus contraints à devoir payer pour un accès aux documents, voire aux archives brutes de choix (tout DVD de document est vendu minimum 20-25 €, l’abonnement aux chaînes cryptées tourne autour des 35-80 € mensuel). Enfin, on sent poindre de nouvelles contraintes légales, inspirées d’une conception quelque peu prédatrice de la notion de droits d’auteurs qui vont sans doute encore restreindre l’usage des archives audiovisuelles dans l’enseignement à des documents « libres de droit ». Ce qui veut dire en clair, des documents spécifiquement prévus pour l’enseignement secondaire, nous privant par la même occasion de la télévision en tant que telle comme source brute et nous réduisant à une nouvelle forme de « télévision scolaire » que la technique nous avait permis d’oublier.  

Attention, le contenu de ces textes représente la situation au moment de la redaction.


Table des matières


Il faut d’abord préciser le cadre de notre exposé. Cadre chronologique d’abord. Dans la partie historique de l’exposé nous citerons essentiellement des programmes diffusés durant la période 1953-1995/2000, c’est-à-dire avant le glissement de beaucoup de programmes « historiques -  éducatifs – culturels – pédagogiques – documentaires » vers les chaînes thématiques (câble - satellite) ou spécialisées (Arte). A partir de cette période, les télévisions généralistes font passer ces préoccupations au second plan, à la notable exception du documentaire de prestige souvent acheté. Cadre géographique ensuite. Nous adopterons le plus simple : l’accès du plus grand nombre, c’est-à-dire la télévision « par antenne » jusqu’au milieu des années 60, « par câble » jusqu’au milieu des années 90, « par câble et satellite » après. Cadre thématique enfin. Je parlerai peu des archives télévisées brutes comme les JT, les reportages, les programmes de variété ; mais plus des émissions élaborées à connotations historiques. En effet, comme professeur d’histoire dans l’enseignement secondaire c’est avec la fiction, le type de programmes que nous utilisons le plus dans nos cours comme introduction, synthèse ou compilation de documents. Nous parlerons d’abord des programmes historiques et des programmes de montage d’archives, directement conçus pour un usage pédagogique comme les Télévisions scolaires ou explicitement revendiqués comme tels par ses auteurs. Ensuite, nous étudierons quelques émissions remarquables, devenues plus ou moins par hasard objets d’usages pédagogiques et des émissions éducatives conçues plutôt à destination d’un public adulte. Nous envisagerons ensuite la lente éclosion du regard rétrospectif et introspectif de la télévision, entre l’usage ludique des archives et la conscience de leur importance patrimoniale. Dans le même temps, nous survolerons rapidement la notion de « jeune spectateur », cible fantasmatique, réelle ou alibi des réalisateurs de programmes historiques. Enfin, nous conclurons par le récit de quelques modestes expériences d’usage d’archives audiovisuelles réalisées avec nos étudiants et par l’évocation d’Inédits, un programme d’une extrême richesse mais sous-exploité, alors qu’il est sans doute à la source d’une « prise de conscience régionale » par l’archive filmée.

Télévision scolaire >>
   Introduction >>
   Histoire >>
   Conclusion >>
De la sphère privée à la sphère scolaire : vive le magnétoscope >>
Emissions explicitement destinées à un usage pédagogique >>
   Les jeux >>
   Documentaires spécifiquement pédagogiques >>
Emissions n’étant pas à l’origine explicitement destinées à un usage pédagogique >>
   Une télévision entre divertissement, éducation et culture pour adultes >>
   Une télévision morale préoccupée par l’éducation du jeune spectateur >>
La télévision et ses archives : un lent regard rétrospectif et introspectif >>
Le jeune spectateur, cible fantasmatique, réelle ou alibi des réalisateurs de programmes historiques >>
   L’Ordre nouveau – Léon Degrelle. Face et revers >>
   La question du conflit entre générations >>
   La France >>
   Relativisons >>
Inédits, un programme de montage d’archives sous-exploité : vers la création d’une « conscience régionale » par l’archive filmée >>
   Les ancêtres >>
   Inédits >>
Trois expériences d’usage des archives télévisées en classe >>
   La fiction et le documentaire >>
   Les archives patrimoniales du Lycée : Inédits à la maison >>
   Le Mois du documentaire : la part du lion à la télévision >>
Conclusion >>
   Usage des archives dans l’enseignement secondaire >>
   Usage des archives dans l’enseignement universitaire >>

 


 

1) La Télévision scolaire

1.1) Introduction

Dans une communication en 2004 sur l’usage pédagogique des archives, parler de la Télévision scolaire, une émission disparue depuis 10 ans, peut sembler incongru, voire particulièrement désuet. 

En effet, chez moi comme chez vous certainement, la Télévision scolaire rappelle plutôt l’école primaire ou les débuts du secondaire où une classe, partagée entre la joie d’une distraction bienvenue et la crainte du travail qui ne va pas manquer de lui tomber dessus, s’en va en rang vers le local de télévision sous la conduite d’un professeur quelque peu inquiet. Après avoir « triffouillé » dans son trousseau de clés pour ouvrir la porte du local puis de l’armoire métallique protégeant le précieux appareil, il distribue enfin les fiches pédagogiques imprimées par la RTB sur un mauvais papier bleu-vert. Après une dizaine de minutes d’attente devant un panneau aux couleurs pisseuses et au logo démodé, l’émission commence enfin après un générique tonitruant. Les scénarios sont bien fait mais sont moins passionnants que ceux d’un Jacques Cogniaux, les sujets sont scolaires mais sortent des préoccupations contemporaines d’un Alain Nayaert ou d’un Philippe Dasnoy, les commentaires de Bernard Faure sont professionnels mais sont moins fascinants que ceux d’Henri Guillemin, les images sont de bonnes factures mais sont moins belles que celles de Visa pour le monde. Bref, c’est de l’instruction scolaire plus que de la culture, même télévisée. Comme nous le verrons plus tard, cette vision n’est pas fausse mais beaucoup trop réductrice.

Alors pourquoi parler en parler. D’abord, parce que la Télévision scolaire a été vue par des milliers d’étudiants et, avant la popularisation des magnétoscopes, a été historiquement la première et, si on excepte pour Feu vert pour quelques établissements, la seule intrusion de la télévision dans l’école. Ensuite, parce qu’à notre grande surprise nous avons constaté lors de la rédaction de notre thèse que quantitativement la Télévision scolaire propose souvent plus de programmes historiques que la chaîne le reste de l’année. Enfin, parce que le désir d’éduquer les enfants par des programmes de télévision visés et contrôlés n’a pas entièrement disparu chez certains.


1.2) Histoire

Nous allons évoquer ici les grandes lignes de l’évolution de la Télévision scolaire en Belgique mais nous ne rentrerons pas dans les détails des programmes ce qui pourrait se révéler fastidieux (30 pages de la thèse).

Après quatre programmes expérimentaux en 1956 (dont un sur la mine de Wérister et l’autre sur Charles-Quint), la RTB se lance le 21 janvier 1963, dans la télévision pédagogique.

Elle le fait à contrecoeur et avec beaucoup de retard par rapport aux autres télévisions publiques comme la RTF ou la RAI, célèbre à ce moment pour les Telescuola qui vont jusqu’à pratiquer de l’alphabétisation. En Belgique, les besoins sont moins urgents et la RTB est nettement moins ambitieuse car ses programmes un peu « accessoires », s’adressent dans un premier temps à l’enseignement primaire et aux premières années de l’enseignement secondaire.

La télévision scolaire a surtout aussi permis de réunir dans un projet commun des réalisateurs maison et des collaborateurs extérieurs venus de la recherche et de l’enseignement. Le noyau de base reste Léon Daco (responsable de section), Betty Van Belle (adjointe), Jean Govaers (réalisateur) et pour les programmes d’histoire ancienne (Menestret)

Si la RTB s’est résolue dans une joyeuse improvisation, et presque contrainte, à créer une télévision pédagogique, sa décision a des conséquences historiographiques importantes car là elle installe pour plus de 20 ans l’histoire ancienne, fleuron de l’enseignement traditionnel, dans les programmes télévisés alors que ce sont les émissions de soirées sur l’histoire contemporaine qui sont la règle à la RTB. La télévision scolaire oblige aussi à l’ouverture partielle des émetteurs l’après-midi, découvrant un public auxquels elles n’étaient pas destinées.

L’expérience réalisée conjointement, du moins dans un premier temps, avec la collaboration du Ministère de l’éducation et de la culture, se poursuit avec 55 émissions jusqu’en juin 1963 dans 150 écoles équipées tant bien que mal. Soucieuse de l’accueil reçu par ses émissions, la RTB réalise une grande enquête auprès des professeurs dont il ressort une satisfaction générale à l’exception de l’inadéquation entre les émissions et les programmes scolaires.

Si les organisateurs de la télévision pédagogique belge doivent admettre son utilité, ils ne peuvent s’empêcher une mise en garde aux professeurs contre une mauvaise utilisation du média et implicitement contre un usage « bouche trou » ou de détente. Le Ministère ne rigole donc pas et veut une télévision studieuse, voire austère.

L’expérience continue en 1964, en l’étendant à la fois à de nouveaux cycles (tous les élèves de l’enseignement moyen) et à de nouvelles matières (chimie, physique, géographie, sciences naturelles, initiation artistique et français) tandis que l’histoire reste une puissante inspiration. Histoire ancienne, médiévale et moderne se partagent l’essentiel des émissions où l’histoire contemporaine n’est que marginale.

Les émissions sont accompagnées de fiches pédagogiques qui comportent une description du programme, une iconographie utilisable en classe, des conseils pédagogiques qui se simplifient au fil du temps pour finalement disparaître, une bibliographie sommaire pour les élèves et plus complète pour le professeur mais toutes deux d’excellente qualité scientifique. Tellement excellente qu’on peut se demander s’il est pratiquement possible à un enseignant du secondaire, d’avoir le temps matériel de consulter ces ouvrages. Plus amusant, ces fiches sont truffées de conseils de bon sens, à moins que se soit de la méfiance, qui nous semblent maintenant bien désuets : nécessité d’intégrer le contenu au programme, préparation préalable de la classe par un rappel du contexte, un rappel des notions et du vocabulaire de base, nécessité de prise de notes pendant l’émission par le professeur tandis que les élèves en sont privés, contrôle du souvenir des élèves.

En 1967, la télévision pédagogique est un genre mature en Belgique. Elle atteint une audience de 650 écoles tandis que 2000 enseignants donnent régulièrement leur avis sur les programmes. Couronnement de l’année, Ce que César n’a pas dit aux Gaulois obtient le prix du jury du concours international de programmes éducatifs organisé à Nagoya par la NHK.

La Télévision scolaire évince rapidement la Radio scolaire qui pourtant survit encore de façon indépendante jusqu’à la saison 1969-1970 où les deux services sont fusionnés. C’est le triomphe définitif de la télévision sur la radio malgré la tentative désespérée des « Radiovisions » à destination de l’école primaire qui ajoutent les diapositives à la radio.

En 1970, l’équipement des établissements d’enseignement moyen en télévision est terminé, contrairement aux établissements d’enseignement primaire et au technique  plus en retard. La Télévision scolaire produit 140 émissions en trois diffusions (et 70 programmes radio). Elle aborde enfin, huit ans après sa création l’ensemble des matières étudiées dans l’enseignement primaire et secondaire.

Pendant la saison 1970-1971, on ajoute les mathématiques modernes et l’Allemand tout en augmentant le volume de programmes pour l’enseignement primaire. La Radiovision subit un dernier lifting pour tenter de survivre en diffusant des programmes plus lisibles comme celles sur les grands personnages ou celles sur des thèmes trimestriels uniques inspirés de la réforme de l’enseignement de l’histoire (La nourriture, le logement, les croisades, les costumes).

En 1971, la télévision pédagogique tente de s’adapter à l’enseignement rénové « basé sur la participation plus active des élèves » en élargissant les matières (initiation technologique, initiation au langage de la télévision).

En 1973, on ajoute l’enseignement préscolaire aux programmes. C’est sans doute l’apogée du service comme en témoignent les 30 000 abonnés aux fiches pédagogiques. Mais c’est la fin car les années de crise vont correspondre au déclin de la Télévision scolaire comme le montre le tableau suivant :

On voit donc une forte croissance jusqu’en 1973-1974 où s’établit un plateau maximum qui cache en fait une nette baisse de production nouvelle et donc une augmentation des rediffusions, signe de l’apparition d’une certaine sclérose.

Dès les années 70 pour les esprits les plus modernes, au début des années 80 pour les autres, la télévision pédagogique est perçue par les professeurs et surtout par les élèves comme particulièrement dépassée, voire ringarde. Elle ne peut plus faire le poids face aux programmes traditionnels qui font mieux qu’elle le tour des questions historiques, politiques ou scientifiques.

Les années 80 sont celles du déclin : beaucoup de rediffusions d’émissions souvent datées jusqu’au ridicule, peu de créations, programmes déconnectés de la réalité d’un monde en mutation (presque rien sur l’informatique, la communication, la biologie nouvelle). 

La Télévision scolaire entame en 1991-1992 une petite renaissance avec sa transformation en Ecran savoir, un replâtrage de façade qui n’a pour conséquences qu’une réduction du nombre de programmes et la suppression des multi diffusions. Mais ces tentatives restent vaines. Même si la RTBF tente un dernier relookage avec Palimpseste, l’agonie de la Télévision scolaire se conclu en 1994.

Paradoxalement, en septembre 1994 au moment où meurt la télévision pédagogique belge, est lancé C’est pas sorcier. Ce magazine documentaire français, en coproduction France 3 – privé (Riff production), est une modernisation du concept de la télévision scolaire, tout en gardant des thèmes classiques mais à la pointe de la recherche et sous des titres « dans l’air du temps ». L’essentiel des nouveautés tient dans la forme : un  plateau attrayant, une scénarisation musclée et rapide, l’usage d’excellentes maquettes, une vulgarisation et une simplification réussie, des interviews de spécialistes passant bien à la télévision, de nombreuses « manips ». Les présentateurs sont « copains » et charismatiques (Frédéric Courant : Fred, Jamy Gourmaud : Jamy, Sabine Quindou : Sabine depuis novembre 1999, Valérie Guerlain : la petite voix). Ils abandonnent les commentaires emphatiques traditionnels pour un vocabulaire contemporain et une bonne dose d’humour.


1.3) Conclusion

Pour conclure, on peut dire que la Télévision scolaire a perdu chez nous beaucoup de ses attraits à partir de la fin des années 70 pour devenir franchement ringarde dans les années 80. Les raisons de la désaffection du public sont multiples : illusion que l’étudiant vit en vase clos et ne regarde pas d’autres émissions, succession en dehors de Télévisions scolaires d’excellents montages d’archives réalisés par des équipes douées sur des sujets contemporains, mauvaise adaptation à l’évolution des programmes scolaires et à l’évolution intellectuelle des étudiants qui abandonnent de plus en plus la culture classique, ton compassé d’un autre âge, restrictions budgétaires drastiques à partir de la fin des années 70 qui obligent à une programmation indigente qui privilégie les éternelles rediffusions à la création. Ce n’est donc pas le concept qui a fait faillite mais son « abandon mou » par la RTBF.

Que reste-t-il alors aujourd’hui du concept de télévision pédagogique. Paradoxalement, face à l’image repoussoir qu’a donné l’émission dans les années 80 qui semble sonner le glas du genre, il renaît de ses cendres avec C’est pas sorcier, qui n’en est que sa déclinaison moderne, plutôt à destination des élèves de la tranche 10-14 (on peut se demander si la Roue du temps ne prend pas pour l’histoire ancienne et médiévale, mais pour les adultes et de façon scientifique, aussi la succession de la Télévision scolaire). Mais on peut craindre que son usage intempestif ou systématique en classe et le vieillissement des épisodes, ne lassent l’élève et n’enterrent le genre pour longtemps cette fois.


2) De la sphère privée à la sphère scolaire : vive le magnétoscope

Les télévisions scolaires ne sont pas les seuls programmes de télévision utilisables à des fins pédagogiques. On peut distinguer les émissions explicitement revendiquées comme telles par leurs auteurs, les émissions devenues souvent par hasard objets d’usage pédagogique et les émissions à destination éducative pour un public adulte.

Il faut pourtant préciser qu’on pourrait sans problème fusionner ces trois catégories de programmes. En effet, dès l’apparition du magnétoscope dans les écoles à la fin des années 70, les enseignants, particulièrement les historiens, vont commencer à enregistrer des émissions de bonne facture à destination d’un public non scolaire. Dans un premier temps, le magnétoscope est perçu par les enseignements comme un outil qui permet de s’affranchir des horaires et d’offrir à toute une classe un programme que tous n’ont pu voir chez eux (pas de télédistribution, pas de télévision). Rapidement, ils se rendent compte de l’illusion d’un tel usage car à la fin des année 70, la presque totalité de la population belge possède une télévision et une grande majorité a accès à la télédistribution. L’usage du magnétoscope change un peu. Il permet toujours de montrer un programme à toute une classe mais touche surtout ceux qui n’ont pas voulu le regarder lors de sa diffusion en soirée. Le magnétoscope a donc permis de faire passer beaucoup de programmes de télévision de la sphère privée à la sphère scolaire, de la sphère adulte à la sphère enfance adolescence.

Nous allons donc examiner quelques programmes qui ont marqué l’historiographie télévisée tout en ayant des aspirations pédagogiques.


2.1) Emissions explicitement destinées à un usage pédagogique

2.1.1) Les jeux

Les jeux d’abord. Hérités de la radio, les jeux télévisés prennent souvent dans les années 50-90, la forme du jeu encyclopédique, du Quiz show, c’est-à-dire une succession de questions de culture générale du niveau de l’enseignement secondaire, parfois pimentées par des épreuves « sportives » de type La Tête et les jambes.

Tout le monde a oublié Dix contre un, un jeu interscolaire international patronné par l’Eurovision où triomphe en 1959 l’équipe de l’Athénée Adolphe Max menée par son préfet Georges Van Hout (auteur du scénario de L’Affaire Courtois et inamovible secrétaire général – président de La Pensée et les hommes), pour ne retenir que Feu vert.

Feu vert est un magazine pour jeunes créé le 5 octobre 1966. Diffusé pendant 90’ le mercredi, il contient les séquences Bibliothèque, Hier et aujourd’hui, à partir de 1970 Les Enigmes de l’histoire, un feuilleton et A Vos marques, un mélange de variétés et de jeux du type Tête et jambes. Réalisé par Jacques Vernel puis par Jacques Vander Heyden, les scénarios sont conçus par le dessinateur Charles Degotte et les jeux par André Rémy. Ils sont présentés par Lisette, Jacques Careuil et Robert Frère. Nettement moins compassé que la Télévision scolaire, elle revendique pourtant le même public mais avec des aspirations nettement différentes. L’option détente est clairement expliquée par son producteur Luc Jacques pour qui « d’autres émissions ont des ambitions pédagogiques et culturelles, nous pas essentiellement, ça peut venir en plus, mais sans l’obsession de l’éducatif, de l’efficace. Nous distrayons ». Peut-être, mais le programme est très nettement dépendant de l’école avec des équipes recrutées dans l’enseignement secondaire, des questionnaires sur des matières vues par des candidats de 12 à 17 ans, des Enigmes et des séquences historiques s’inspirant d’une histoire traditionnelle, voire édifiante dans l’esprit de Blanc casque ou des Belles histoires de l’Oncle Paul. Le succès du programme est très grand même si de l’aveu même de l’équipe, l’émission intéresse peu les critiques et si on lit entre les lignes, pas beaucoup plus la RTB qui ne réalise un sondage d’écoute que deux fois pas an. Elle serait suivie par 250 à 400 000 spectateurs dont 6% d’adultes sans concurrence avec l’ORTF qui diffuse ses programmes pour jeunes le jeudi.

L’autre jeu à succès des années 60, qui fait aussi appel à des connaissances scolaires fort soutenues il est vrai, est Visa pour le monde présenté par Georges Désir, Paule Herreman puis Alain Denis. De 1966-1985 où il est remplacé par l’éphémère Terminal 10, s’affrontent deux candidats sur un pays souvent exotique

Jeu de circonstance, Risquons tout fait aussi appel, à ses débuts au moins, aux connaissances scolaires des candidats qui s’affrontent en répondant à des questions sur l’histoire de Belgique et du Congo de 1830 à 1980, introduites par des séquences historiques composées de montages d’archives ou de reconstitutions. Produit par la RTBF-Charleroi, il «  s’inscrit dans la programmation prévue à l’occasion du 150ème anniversaire de la Belgique ». Présenté par Christian Druitte, Frédéric Borsu puis Bernard Balteau, récompensé de l’Antenne de cristal 1981, et sans atteindre la longévité de Visa pour le monde ou de Double sept, le programme connaît pourtant une belle postérité en durant six saisons. Il est intéressant à plus d’un titre. D’abord, la collection d’archives montrées entre les séquences est remarquable tant dans le nombre que dans la variété et a pu être exploitée dans l’enseignement comme j’ai pu le vivre comme étudiant (5ème – option histoire). Ensuite, les questions élaborées par le professeur Balace mélangent habilement des sujets scolaires traditionnels avec des sujets nettement plus pointus reflétant l’état de la recherche historique du temps. Enfin, si Risquons tout célèbre l’histoire de la Belgique de papa, elle en sonne également le glas pour laisser la place à des jeux plus dans l’air institutionnel du temps.

Double sept par exemple qui s’inspire surtout du « fait régional », voire du régionalisme touristique. Autre production de la RTBF Charleroi, scénarisée par Jacques Vander Heyden et Jean Brismée, présentée par Robert Frère exhumé de sa retraite audiovisuelle, Bernard Perpette et Marianne Périlleux, on le présente comme un « jeu intelligent qui réconcilie les intellectuels et les sportifs » ? C’est en fait une nouvelle adaptation du concept de la Tête et les jambes : un couple (d’abord marié, puis cohabitant puis n’importe qui vivant sous le même toit) participe au concours. L’un reste en studio pour répondre à sept questions, tandis que l’autre est à l’extérieur pour accomplir sept épreuves (d’ou le titre). Les questions sur les villes ou des lieux culturo-touristiques francophones sont introduites par une séquence patrimoniale souvent d’inspiration historique. Même si l’audience est excellente, ce qui justifie sa remarquable longévité (1987-1996), cela reste de la télévision de papa. Mais entre Risquons tout et Double sept, la société belge a changé. Plus aucun professeur n’oserait utiliser ces séquences en classe. C’est vieux, désuet et on a beaucoup mieux pas d’autres moyens.

Chose assez curieuse, le genre ne meurt pas avec les années 90. Que le jeu soit para-pédagogique comme Question pour un champion ou revendiqué comme tel comme Génies en herbe, on fait encore du jeu pédagogique aujourd’hui, avec un succès d’audience certain.

Ces jeux sont également le signe d’un aller-retour entre télévision et école. La première s’inspire de la culture ambiante élaborée dans l’enseignement secondaire tout en ouvrant parfois ses sélections aux élèves ou aux professeurs particulièrement nombreux parmi les candidats libres ; la seconde encourage souvent ses élèves à regarder le programme ou considère ces émissions comme des programmes de choix qu’on regarde sans déchoir.


2.1.2) Les documentaires spécifiquement pédagogiques

Ce genre de production est plutôt une spécialité française, et particulièrement de la troisième chaîne, qui produit ou coproduit quelques émissions de prestiges malheureusement vites vieillies.

Après une première tentative d’expliquer l’histoire de France aux enfants et aux jeunes adolescents, avec l’Histoire de France en bande dessinée en 1976, la chaîne reprend l’idée amplifiée dans Il était une fois l’homme, un dessin animé en coproduction Procidis à laquelle participe la RTBF. C’est l’histoire de l’humanité à travers le destin de personnages récurrents et de leurs descendants, dans l’esprit des Timours de Sirius, mais c’est sans doute fortuit. La série est révolutionnaire pour la présentation de l’histoire aux jeunes générations. Pour la fin des années 70, on peut comparer sa nouveauté pédagogique télévisée à celle apportée à la fin des années 90 par C’est pas sorcier. Le succès de la série est à attribuer, outre la diffusion hebdomadaire redondante, à l’excellente idée d’avoir inventé une famille de personnages typés et sympathiques apparaissant de façon récurrente dans chaque épisode, qui retrace chronologiquement et avec optimisme les grandes étapes de l’histoire de l’humanité. Paradoxalement, le contenu scientifique du dessin animé est d’une bonne valeur, au point qu’un adolescent qui retient l’ensemble des faits expliqués en connaît beaucoup plus que bon nombre d’étudiants terminant l’enseignement secondaire.

Aussi original mais peu apprécié par les historiens soucieux de critique historique, En direct du passé en 1981-1982 reprend la formule de l’histoire comme un journal d’actualité, faux interviews et faux reportages compris mais avec une très belle iconographie d’époque. N’ayons pas peur des mots, c’est de l’anachronisme revendiqué, donc pas caché, poussé jusqu’à l’art comme l’a été 1830. Chronique imaginaire d’une révolution de Jacques Cogniaux en 1980 ou la Télévision scolaire Henri 4 le pacificateur en 1989. Ca crispe l’historien mais ça plait à petite dose.

Pour mémoire on peut citer les productions de prestige très réussies qui « mettent le paquet » dans les moyens et l’invention pour servir des thèmes éternels de l’histoire ou de l’art comme Le Louvre le plus grand musée du monde en 1987, Palette d’Alain Jaubert en 1988-1998 qui utilise tous les moyens des trucages télévisés pour arriver à une démonstration très pédagogique ou la même année L’Europe de la Toison d’or.

Cette série est intéressante car elle est au carrefour de deux époques du documentaire, voire de la télévision. Côté modernité, elles est la première synergie dans le domaine du documentaire revendiquée par une RTBF en voie de paupérisation, en même temps qu’elle est financée en partie par le mécénat d’IBM, ce qui est rare pour une émission historique. Jours de guerre quelques mois plus tard, reprend pourtant l’idée avec un partenariat du Crédit communal. Elle prend enfin les accents constitutifs d’un sentiment national, car la BRT coproductrice obtient une traduction, une présentation et un montage propre. Côté archaïsme, elle mélange iconographie d’époque, images contemporaines et la technique surannée de la reconstitution historique, jouée sur un commentaire du narrateur in situ en costume de ville 1988 mal coupé. De plus, elle parle d’un sujet de plus en plus ignoré par l’école et donc par le public. Si l’histoire de Belgique est illustrée brillamment et si sa qualité historique n’est pas mise en doute, c’est un programme antédiluvien tant par son thème, que par sa forme comme le résume malicieusement Pan dans un superbe article qui relativise beaucoup notre communication mais qui est très finement analysé : « Situation conflictuelle au sein des familles bien éduquantes l’autre soir. Les gosses votaient pour Belmondo dans L’as des as et les parents imposaient L’Europe de la Toison d’or, série produite par la RTB. Résultat : Depuis ce jour, la grogne règne dans tous les foyers. C’est bien fait pour les vieux na ! Ils n’avaient qu’à bien lire les programmes : il était bien indiqué série documentaire. Pas besoin de traduction tout de même, documentaire étant ici synonyme de barbant, mortel, chiant, plus soporifique que ça tu meurs. Les parents sont effrayés par le manque de culture de leur rejetons qui s’identifient plus à Goldorak qu’au preux Charles <…> En vérité, les parents jouaient la carte éducative pour se faire plaisir. Ils avaient gardé une nostalgique souvenance d’une fresque grandiose et captivante intitulée Les Rois maudits <…> N’empêche qu’ils avaient drôlement plus vibré aux aventures des rois fratricides qu’en écoutant les doctes et sérieux commentaires de Jean-Philippe Lecat. On dirait un dominicain qui chante les mâtines : même pas en costume d’époque qu’il est ! C’est bien simple, le moment le plus vivant de l’émission est l’interminable enterrement du Comte Philippe à Bruges. Et les fêtes à la Cour de Bourgogne, pas jojo non plus. Pas question de lancer ses os de poulet dans le décolleté des gentes dames <…> Bref les enfants pestaient : on les comprend. S’il faut aller aux cours le soir dirent-ils, on préfère La Classe de Fabrice. Pour l’action éducative, un bide, car c’est Bébel qui reste dans le cœur de nos jeunes, le téméraire sans peur et sans reproche ». Si on suit ce bel article, nous n’avons plus qu’à clôturer le colloque, aller boire un verre et mettre le feu aux archives de la télévision.


2.2) Emissions n’étant pas à l’origine explicitement destinées à un usage pédagogique

2.2.1) Une télévision entre divertissement, éducation et culture pour adultes

Quelques documentaires se revendiquent une intention pédagogique bien que ce soit certainement le meilleur moyen de faire fuir le public. En effet, sous la férule de Robert Wangermée, la RTB des années 60-80, va nettement s’orienter vers l’éducation plus ou moins bien emballée de divertissement. Comme nous le verrons plus loin, cet usage pédagogique de la télévision, frisera parfois l’overdose.

Mais cette opposition traditionnelle entre divertissement – spectacle et culture – éducation est une préoccupation ancienne et permanente de la télévision belge. En 1954 déjà, à l’occasion d’uns des premiers échanges culturels organisés par l’UER, l’INR propose une Visite à la maison Erasme. Le choix est judicieux car on doit faire voir aux autres européens ce qu’on a de mieux et Erasme est parfait pour cela car très consensuel tout en pouvant être annexé sans problème par tous les européens. Malheureusement, les réalisateurs sont écartelés entre pure culture qui veut montrer « que la TV n’est pas un nouveau moyen d’abrutissement » et peur d’ennuyer un public qu’on n’arrive pas à cerner ou qu’on prend dans sa globalité comme un animal méprisable. Conséquence de cette incompréhension, on mélange les genres : visite du musée mais par un guide farfelu et concert du groupe Pro musica antiqua mais aussi vedette de variété.

La France vit aussi les mêmes préoccupations. En 1956, Enigme de l’histoire – A chacun sa vérité qui deviendra La Caméra explore le temps, propulse l’histoire des manuels scolaires au centre des dramatiques télévisées. Au delà de sa place dans la mémoire collective du spectateur franco-belge, largement issue d’une reconstruction nostalgique, le programme est au centre du problème des relations entremêlées éducation – divertissement, pédagogie – télévision, histoire scientifique – histoire populaire.

L’origine de la Caméra se trouve dans la double volonté de fournir une série à succès à partir de textes originaux et de satisfaire le désir d’histoire du public qu’exprimait le succès de la revue Historia.

L’intention et les méthodes de l’équipe Decaux – Castelot – Lorenzi sont claires : fond de l’histoire la plus rigoureuse possible, reconstruction des scènes et dialogues, approche reconstructive des caractères et des personnages, choix de sujets croustillants voire quelque peu sanglants. On est donc bien dans la théâtralité divertissante, peut-être à thèse, avec l’histoire comme prétexte.

Le succès est indéniable tant par l’audience publique que par l’adhésion des critiques. Mais l’émission ne plait pas partout, notamment dans les milieux universitaires. Pour Stellio Lorenzi, on trouve d’un côté un public approbateur de professeurs, de médecins, d’ecclésiastiques et de gens très simples « des intellectuels mais pas dans la mouvance parisienne » et de l’autre, ceux qui n’apprécient pas son travail et qu’il stigmatise politiquement : « Les universitaires n’aimaient pas les  dialogues reconstitués, un parisianisme d’intellectuels situés à gauche souvent <…> rive gauche ».

En fait, ce que les universitaires reprochent surtout au programme, c’est de reconstituer les dialogues puisque les émissions postérieures comme Alain Decaux raconte ont fait venir à lui des gens comme Leroy-Ladurie qui avait critiqué la Caméra. On peut d’ailleurs se demander à ce sujet si Alain Decaux n’avait acquis à ce moment une telle renommée qu’il était difficile de l’ignorer ou plus simplement, si la télévision n’était pas entrée dans les mœurs.

Il est intéressant de citer rapidement les raisons, réelles ou fantasmatiques, qui ont causées la suppression de la Caméra en 1965-1966 car elles montrent assez bien que, contrairement à la Belgique, l’histoire télévisée française est souvent enjeu de polémiques, voire d’affrontements politiques : volonté de reprendre en main la télévision et particulièrement ses éléments de gauche, volonté de punir Lorenzi pour la grève des réalisateurs dont il était un porte-parole, conception « restreinte » de l’histoire chez Claude Contamine pour qui elle devait n’être qu’une source de scénario et de spectacle et rien d’autres, pressions non prouvées du général De Gaulle qui n’aimait pas la Caméra et qui lui reprochait de n’aborder que les côtés sordides de l’histoire de France et plus certainement selon la somme monumentale d’Isabelle Veyrat-Masson, la conjonction de la crainte de « voir la représentation du passé français tomber dans les mains d’un individu considéré comme un ennemi politique déclaré à une époque de remise en ordre de l’institution et à une période politique agitée »

Au delà de l’agitation française et de la nostalgie autour de la Caméra (une des meilleures vente de DVD pour les feuilletons anciens), il faut d’abord relativiser son influence chez nous. Elle nous intéresse dans la mesure où elle est relayée par l’INR-RTB en direct jusqu’à la fin de la saison 1960-1961 puis en différé. Il faudra attendre les dernières semaines de 1959 pour que la presse télévisée s’y intéresse vraiment et la fin 1960 pour qu’elle y consacre de larges articles. En fait, c’est surtout à l’occasion des rediffusions début des années 80 que la nostalgie d’un service public déjà considéré comme attaqué va transformer la Caméra en mythe. Pour la presse belge la Caméra est l’expérience la plus aboutie « d’écriture par l’image », le fleuron d’une « télévision adulte et libre de réaliser tout ce que potentiellement elle est capable de réaliser ». On dit même qu’elle a pu flatter le goût de savoir d’un public téléspectateur considéré, et c’est original chez les journalistes du temps, comme à priori cultivé.

Nous conclurons sur La Caméra explore le temps avec son exploitation pédagogique. Si beaucoup d’enseignants du secondaire conseillèrent à l’époque à leurs élèves la dramatique, peu l’on utilisée en classe. Nous avons eu vent d’un professeur de la région de Mons qui l’a systématiquement exploitée pendant deux saisons. Nous ignorons si l’expérience fut positive. Que reste-t-il du mythe aujourd’hui. A l’occasion de la rediffusion de quelques épisodes sur Histoire et de la sortie de la série en DVD, j’ai tenté d’utiliser La Terreur et la vertu en classe comme j’utilise de temps en temps La Controverse de Valladolid (dramatique télévisée contre dramatique télévisée). L’expérience est en gros un échec : archaïsme de la mise en scène, cabotinage des acteurs pas toujours doués, fautes techniques énormes, mauvaise qualité des décors, tension de pacotille, reconstitution historique sommaire et prétexte, thèses envahissantes de Castelot – Decaux et surtout totale inadéquation entre le sujet de l’épisode, la culture et les préoccupation des étudiants.

Je crois même pouvoir affirmer que seule la politesse des étudiants ou la passion de l’histoire de l’adulte peut permettre de supporter la vision complète d’un épisode de la Caméra en 2004. C’est sans doute ici une des limites de l’usage pédagogique des archives télévisées dans de l’enseignement secondaire comme on l’expliquera plus tard. Pour l’enseignement universitaire, c’est autre chose.


2.2.2) Une télévision morale préoccupée par l’éducation du jeune spectateur

Jusqu’ici, nous n’avons fait que survoler une sélection de programmes télévisés à usage pédagogique. Il est clair qu’en Belgique, et dans une moindre mesure en France, jusqu’aux années 80, on a difficile à parler d’usage pédagogique de la télévision puisque la télévision est pédagogie.

En effet, média qui cherche sa place dans un milieu hostile (presse quotidienne, presse hebdomadaire, cinéma et radio qui ont peur de la concurrence, milieu scolaire qui a peur de perdre le monopole de l’éducation, milieux intellectuels traditionnels qui ont peur de perdre le monopole de la culture) la télévision est objet de suspicions. On l’accuse en gros au début des années 60 d’être un instrument d’abrutissement, argument qu’on retrouve encore aujourd’hui d’ailleurs. Contrairement à une chaîne privée comme Télé Luxembourg qui pour faire des bénéfices n’a qu’à donner du divertissement qui marche tout seul, la RTB doit justifier son existence à un pouvoir subsidiant sourcilleux. Elle va rapidement, sous l’impulsion de Robert Wangermée, se rendre compte qu’elle a besoin de relais socioculturels qui prolongent son action « à travers les différentes couches sociales ». Elle va donc, pour s’offrir une certaine légitimité devenir « la seule école du soir ouverte à tous, le canal privilégié de l’éducation populaire ».

La multiplication de ces programmes culturels, voire d’éducation permanente n’a que cette fonction précise. Mais cette tactique ne s’impose pas sans mal car le spectateur, relayé par les chroniqueurs de télévision renâcle.

Pour la RTB, le clash a lieu en 1963 à l’occasion de la diffusion d’Initiation – Histoire des civilisations produite par Janine Modave et réalisée par Paul Roland. Cette série en 13 épisodes brillants, fait largement appel à la collaboration d’universitaires mais est à son corps défendant, au cœur d’une fronde du public et des chroniqueurs.

Elle stigmatise en effet les défauts d’une « télévision éducation permanente », d’une télévision que l’on perçoit comme fort scolaire, d’une télévision où ce type de programmes se multiplie et exaspère à l’image de l’article plus violent que d’habitude de Maurice Simon, chroniqueur de Télémoustique, porte-parole du public silencieux : « Oui, depuis le premier janvier, la RTB ne prend même plus la peine de camoufler son côté instituteur sous des dehors seyants, attractifs ou divertissants. Elle y va carrément avec agressivité nette et sans bavure. La seule nomenclature des émissions - cours du soir suffit du reste à donner le vertige <…> autant de pensums livresques à peine dégrossis pour les besoins de la TV et auxquels viennent s ‘ajouter des émissions plus travaillées, plus enrubannées répondant aussi à la ‘mission sacrée’ <…> Sans parler de tout espèce de reportages glissés dans le Journal télévisé ou dans quelques magazines et qui cherchent encore à nous faire des grosses têtes. C’est beaucoup. C’est trop. Je ne suis pas farouchement opposé à cette idée que la télévision est une ouverture sur le monde, les arts, les sciences et la culture. Mais il y a la manière et il y a une cote d’alerte que la RTB est en train de dépasser allégrement ».

Mine de rien, beaucoup de choses sont dites ici : sentiment diffus d’être manipulé ou au moins d’avaler le médicament avec la confiture, désir pas tout à fait avoué d’avoir une télévision de divertissement, ras-le-bol des programmes visant l’éducation ou la culture même de bonne qualité, défiance vis à vis de ceux qui ont le savoir avec en prime quelques relents poujadistes comme le montre la fin de la tirade : « Et il y a cette incessante leçon donnée à forte dose par le cancre de la classe (le présentateur ou l’universitaire) qui nous irrite et nous agace ». Notons que l’argument est exactement l’inverse de celui utilisé au même moment par les détracteurs de la télévision fossoyeur de la culture.

Malgré cette fronde qui va se poursuivre jusqu’il y a une dizaine d’année, la RTB continue à produire des programmes culturels ou éducatifs souvent utilisables en classe. Revers de la médaille, elle gardera longtemps cette réputation de télévision chiante qu’elle ne commencera à abandonner qu’avec le départ de Robert Wangermée et l’arrivée de Robert Stéphane.

A partir du milieu des années 60, l’école belge du documentaire historique va monopoliser l’antenne de la RTB en multipliant les programmes d’excellente qualité mais d’une facture classique (montage d’archives sur un scénario rigoureux, interviews souvent in situ des témoins et des historiens, sujets contemporains et nationaux). En même temps qu’elle se met en place, elle va développer, alors que personne ne lui demande rien, un discours récurrent pour justifier son travail qu’on retrouvera d’ailleurs, mais dans une moindre mesure en France.

L’essentiel de ses arguments tient en trois points : les jeunes et particulièrement les jeunes étudiants sont ignorant de leur passé et l’école ne fait rien pour y remédier (une variante y ajoute que les jeunes n’ont plus le respect des anciens et une autre que le maintient de cette ignorance est intentionnelle), il faut absolument les éduquer pour éviter de revivre les erreurs du passé, les adultes connaissent mal leur passé, même celui qu’ils ont vécu.

La télévision, et particulièrement la télévision documentaire, à donc pour mission d’éduquer ce jeune mythique, d’ouvrir les portes de la vérité aux adultes ignorants, voire de rectifier pour tous une histoire traditionnelle, enfermée dans ses certitudes.

La mutation de la mémoire de la déportation (de Breendonk – Dachau – Mauthausen vers Auschwitz ou si on veut d’une déportation politique vers une déportation raciale), très nette en Belgique à partir de 1980-1981 et ailleurs à partir du feuilleton Holocauste en 1979 va amplifier le phénomène.

Vont alors se succéder chez nous, mais aussi en France, une série de programmes qui se réclament plus ou moins directement de cette mission. Nous allons rapidement en évoquer quelques-uns analysés dans cette optique

14-18. Le Journal de la Grande guerre (RTB – 1964-1968) est la première série à faire allusion à une rupture de génération. Elle détermine deux publics cible : les anciens pour qui chaque détail de la guerre mérite d’être rappelé et les jeunes générations, « ceux de la prochaine », qui devient un enjeu moral. Mais le raisonnement comporte une faille : même si le programme contient tout ce qu’il faut pour être utile aux jeunes, ont-il envie de la regarder. En fait, on est ici à un tournant de génération. En gros, les anciens de 14-18 sont largement septuagénaires. Leurs enfants, par exemple les journalistes qui rendent compte de l’émission, ont autour de 40-50 ans et, s’ils ont consciemment vécus le second conflit, ils ne connaissent la première guerre que par leurs parents. Tandis que le jeune mythique auquel chacun pense n’en a vécu aucun et est tributaire des souvenirs familiaux ou d’éventuels programmes télévisés. L’école n’étant pas d’un grand secours, ils trouvent donc face à face, une version familiale traditionnelle des conflits et une version télévisée qui intègre souvent les nouveautés de la recherche. De la contradiction entre les deux versions naît alors la polémique sur les rares sujets sensibles de l’historiographie belge.

Les mêmes préoccupations seront présentes dans le lancement des chaotiques Entre-deux-guerres et Vingt-cinq ans après.

Un mot très rapide du Chagrin et la pitié (Documentaire germano-suisse de Marcel Ophuls et André Harris– 1969) une évocation de l’occupation de la France, de Vichy, de la collaboration, de la résistance par quelques documents d’archives et surtout de très longs interviews, qui est devenu programme classique de l’historiographie télévisée française. En fait, la seule originalité de ce document fort indigeste est qu’il a été produit par la télévision allemande, la télévision suisse et réalisé par des journalistes français. Sa valeur mythique ne vient que du parfum de scandale qui l’entoure puisqu’il n’a été repris par la télévision française qu’en 1981 (rien n’obligeait d’ailleurs l’ORTF à le diffuser). Par contre, toute l’Europe l’a vu en 1969-1972 (chez nous en septembre-octobre 1971 sur la BRT et en septembre 1972 sur la RTB). Par contre, la question de l’éducation des jeunes générations et des intérêts divergents avec leurs parents est permanente en arrière fond de beaucoup d’interviews.

La question des deux conflits mondiaux réglés chez nous, c’est la déportation qui devient au tournant des années 80, source de programmes historiques où les jeunes sont enjeux, voire acteurs. Mais cette fois, l’apparition massive des magnétoscopes dans les écoles permet effectivement un usage en classe sans passer par une hypothétique demande de vision en famille.

Il est indéniable que c’est le feuilleton américain Holocauste qui raconte le destin parallèle de la famille Weiss exterminée par les nazis et d’Erik Dorff, jeune avocat entré dans les SS, qui est en grande partie à l’origine de la prise de conscience dans l’ensemble de la population, de la déportation des juifs d’Europe. Le choc est très grand d’autant que les 4 épisodes sont souvent diffusés en bloc sur une semaine (comme sur NBC, WDR ou la RTBF). Ici, les enseignants ont vraiment utilisé les outils nouveaux pour exploiter cette diffusion, faisant de la déportation, un thème majeur pour toute une génération. Des visions et analyses en classe ont été réalisées avec succès dans de nombreuses écoles.

Mais on peut dire que le feuilleton ne fait qu’amplifier une situation sans doute amorcée chez nous par un événement particulier : le voyage des jeunes à Auschwitz

A l’origine de ce voyage, l’Amicale de Silésie, une association de déportés aux activités jusque là classiques, bien que très nettement à gauche. En 1976, à un moment où arrive une nouvelle équipe, naît l’idée d’amener une centaine de jeunes à Auschwitz, accompagnés d’anciens déportés. Les anciens expriment clairement deux  préoccupations : la conscience de leur disparition à court terme et la volonté de transmettre le souvenir de leur expérience malheureuse. Cette volonté patrimoniale est peut-être aussi simplement due au fait que, retraités, ils peuvent enfin se pencher sur leur passé qu’ils n’avaient jusque-là exprimé que dans des petites actions beaucoup moins ambitieuses, en raison de leurs activités professionnelles.

Le projet ne prend corps qu’à l’occasion du voyage du Roi à Auschwitz en octobre 1977 et des premières activités de rénovation du musée de la salle belge du camp. Une activité intense commence alors qui mobilise le triptyque Amicale – enseignement – télévision. En effet, l’Amicale de Silésie, future Fondation Auschwitz, a très bien compris l’importance des médias et des relais scolaires pour transmettre son message et y trouver une certaine légitimité. Le milieu éducatif va très bien accueillir cette initiative ainsi que la télévision qui y voit peut-être une occasion de satisfaire à nouveau à la volonté d’éduquer, voire d’édifier une population jeune ou ignorante. Quatre documentaires, particulièrement peu attrayants d’ailleurs vont naître du voyage : le reportage « officiel » de la RTBF Auschwitz 33 ans après diffusé dans le magazine A suivre, un travail d’étudiants de l’INSAS, le reportage « officiel » de l’Amicale Un Jour les témoins disparaîtront réalisé par Frans Buyens et diffusé par la RTBF dans le cadre de L’Ecran témoin et, inspiration tardive, Mechelen – Auschwitz de Lydia Chagoll.

Mais c’est sans doute Mémoire courte : Breendonk réalisé par André Dartevelle pour le magazine Autant savoir en 1980 qui résume le mieux toutes les appréhensions du temps, particulièrement à gauche, face à la question de l’éducation historique des jeunes par l’école et la télévision. Son titre est trompeur pour une émission peu historique qui regrette seulement « le peu de conscience historique des jeunes en raison de leur dépolitisation » et qui plaide pour le maintien d’un cours d’histoire. l’auteur met en parallèle un cours d’histoire surtout orienté vers les sociétés éloignées et la visite d’une autre classe au fort de Breendonk et au musée de la Résistance. Elèves et enseignants, dont Anne Morelli à l’époque professeur dans le secondaire, développent une série d’arguments attendus : nécessite de maintenir le cours d’histoire alors que la tendance est à la suppression des « branches jugées peu rentables », élèves subissant le cours d’histoire en raison de leur dépolitisation, échange sur le fascisme entre étudiants et professeurs.

D’autres programmes aux préoccupations plus ou moins semblables vont se succéder dans les années 80-90 et revendiquer une volonté d’éducation historique, voire d’édification, de son public. En vrac : L’Ordre nouveau de Maurice De Wilde en 1982 et surtout dans son adaptation en français accompagnée de débats en 1984 ; Il y a 50 ans l’Allemagne – Hitler pour 12 ans de Jacques Cogniaux en 1983 ; Léon Degrelle. Face et revers de Jacques Cogniaux et Pierre Desaive en 1987 ; les émissions sur Barbie de la traque au procès ; les émissions sur Touvier de l’arrestation au Procès ou bien sûr Jours de guerre en 1989-1995 et ses suites depuis.

Nous pouvons conclure cette partie en nous demandant quelle est la pérennité de cette archive télévisée particulière qu’est le documentaire historique. Nous avons déjà dit qu’il vieillissait mal ce qui rendait son usage pédagogique difficile après quelques années. Mais en étudiant rapidement le cas Shoah l’on s’en rend mieux compte.

Shoah est un documentaire français de Claude Lanszmann diffusé en 1986 sur la RTBF. Interminable composé d’interviews de survivants juifs, de bourreaux allemands et de témoins polonais. Sans archives, sans chronologie, dans des paysages contemporains et avec des maquettes, l’auteur qui se met en scène  vise « à démontrer toute la minutie et la méticulosité de l’extermination des juifs par les nazis ». Après une remarquable campagne de presse servie par le don polémique de son auteur très rancunier (contre Nuit et brouillard et Holocauste), Shoah est loué par l’ensemble de la presse, à l’exception du New Yorker, de Libération et chez nous de Vers l’avenir. Des enseignants l’utilisent comme illustration à leurs cours tandis que des projections commentées sont même organisées. En fait, le documentaire est un évènement, non pas pour sa qualité esthétique ou historique, mais surtout parce qu’il arrive à un moment où la question de la mémoire (plus ou moins douloureuse, revendicative ou masochiste de la déportation mais aussi des guerres coloniales, du monde ouvrier, des croisades, de la déforestation et j’en passe) se confond avec l’inflation des émissions sur la déportation et celle sur l’éventuelle unicité de l’extermination des juifs. Shoah devient une sorte d’étalon du documentaire télévisé sur la déportation. Mais le temps passe et si un peu moins de 20 ans après Shoah reste un classique du genre, même si nous nous doutons que beaucoup ont regardé les neuf heures et demie d’interviews, une série d’évènements l’ont rendu obsolète : degré zéro de la création télévisée qui évolue beaucoup dans les années 90, saturation du public pour l’histoire de la déportation déjà perceptible en 1985 , fin de l’intérêt pour la seconde guerre après l’overdose des années 1989-1995 qui laisse sa place à la télévision à l’histoire immédiate et au « grand retour » de la première guerre, succès public (n’en déplaise à Lanzmann) de La Liste Schindler suivi d’une sauvegarde de témoignages de survivants par sa Fondation, évènements politiques internationaux comme la chute du mur et indirectement la notion de comparatisme apporté par le Livre noir du communisme, le problèmes du Moyen Orient ou le génocide rwandais.


3) La télévision
et ses archives : un lent regard rétrospectif et introspectif.

La télévision s’est très tôt penchée sur son passé pour proposer des émissions qui usent des archives, entre une image légère et ludique (comme dans Ces années-là) et la conscience de leur importance patrimoniale.

En 1958 déjà, la jeune INR jette un regard rétrospectif sur ses cinq premières années dans Nos jeunes années.

En 1972, dans L’autre TV, Jean-Marie Delmée et Jean Allaert tentent de montrer l’envers de certains aspects du travail des reporters à travers un débat (Wangermée, Thoveron, Edgard Morin et Frédéric François) et de grands moments de la télévision. Seul Les Grands hommes du petit écran sur les hommes politiques et la télévision dans les années 60 est pour l’époque purement rétrospectif.

Pour son 20ème anniversaire un an plus tard, la télévision belge, en plus de s’offrir la couleur, propose un melting-pot de programmes un peu semblables à ce qu’on connaîtra trente ans plus tard : une soirée spéciale, la série humoristique Clin d’œil (Marion – Stéphane Steemans) sur le thème de la télévision, une rediffusion du concert d’Ella Fitzgerald capté en 1955 au Palais des beaux-arts, Télé souvenance, une anthologie nostalgique « des soirées de naguère » à l’exception de quelques épisodes sur Les Temps héroïques et Les Reporters, étrange entretien avec des gloires de la télévision qui semblent être enterrées pour l’occasion.

D’autres séries, plus ou moins anniversaires vont être proposées dans les années 70-90.

Rue des archives en 1978 sur FR3, une superbe série thématique en 24 épisodes de 50’ qui s’intéresse à la constitution de pans entiers de la mémoire collective française à l’aide des archives de la télévision conservées par l’INA

Il était une fois la télévision en 1985-1986, une rediffusion en 12 épisodes, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la télévision et du trentième de son démarrage non expérimental en Belgique d’anciens programmes qui « furent à l’époque des évènements ou des innovations » présentés par Sylvie Rigot qui reçoit en studio des invités qui commentent les extraits d’archives. Ce type de programme connaît une belle postérité : deux émissions spéciales du Journal télévisé mélangeant souvenirs et archives : Spécial JT (1986) et JT événement (1987) accompagnées du livre commémoratif L’univers au jour le jour, La Grande histoire du petit écran à l’occasion du quarantième anniversaire de la télévision belge (du 10/9/93 au 29/10/93) ou la série Archive(s) (à partir du 7/9/2002).

La Belle mémoire, quarante ans de télévision en 1990 sur FR3 en collaboration avec l’INA, en 10 épisodes une courte et incomplète histoire de la télévision française à travers des thèmes variés.

Vidéothèque en 1990-1992 conçue, produite et présentée par Michel Franssen. D’une forme simpliste, des archives commentées par un invité et sans argent, l’émission voulait à l’origine exploiter les archives de la RTBF tout en « explorant des terrains, des créneaux qui correspondent à la mission de la RTBF ». Selon l’aveu même de son auteur, c’est le concept révolutionnaire « tu peux faire quelque chose à condition que cela ne coûte rien » qui est à l’origine de sa mise en place en septembre 1990. Mais c’est sans doute la série du genre la plus intéressante et la plus utile pour la compréhension de la télévision belge en prenant parfois des chemins de traverses plus sociologiques qu’historiques. Le programme commence sans studio, est tourné dans un coin de bureau puis trouve refuge à la librairie Quartier latin avec l’aide technique de Télé Bruxelles.

Ces années-là en 1992-1993, est une série de montages en 42 épisodes de 60’, produite par Pierre Meyer et Thierry Luthers, gage de détente mais pas de rigueur. C’est une compilation chronologique de succès de variétés sur un montage d’actualités des années correspondantes, platement copiée sur Salut les 60. La formule, sans beaucoup de rigueur ou d’intérêt historique est néanmoins très plaisante tout en étant dans l’air du temps, comme le montrent les programmes semblables Histories sur la BRT ou Bonjour les 70  de la télévision française. Réalisé dans l’urgence en picorant dans les archives de la RTBF rehaussées par des chansons du temps dans une proportion de 40% d’actualités pour 60% de clips musicaux, le succès est immédiat et suscite une suite durant la saison 1992-1993 puis un jeu homonyme en 1994 animé par Patrick Weber

Dans un contexte de mutation vers un modèle ressemblant fort, légèreté en moins à sa concurrente privée, la RTBF est contrainte de célébrer le cinquantième anniversaire de sa création et de rappeler une époque où elle était créative, indépendante, voire insolente. Même si, à l’image de la caricature de Dubus dans Télémoustique, certains se seraient bien passés de l’exercice, les programmes proposés sont convenus mais très honorables. Point d’orgue de l’anniversaire, la grande soirée spéciale et le jeu 100% télé sont sans doute les émissions les moins intéressantes. Par contre, les autres programmes inspirés des riches archives de la chaîne sont de bonne facture : one-shot, collection Archives, collection Documentaires, série achetée La boite noire, émissions spéciales de programmes installés (Les Niouze, Les Années belges, …). La radio propose également Portraits sans parole consacrés à d’anciennes gloires du journalisme maison et Boulevard du temps. Si la RTBF concentre les commémorations sur un peu plus de deux mois (septembre - octobre 2004), la VRT propose aussi des programmes mais sur une période de près d’un an (octobre 2003 – octobre 2004). Cerise sur le gâteau, la télévision belge édite en DVD, Les Galapiats feuilleton pour jeunes, « de nostalgique mémoire ».

Citons enfin pour mémoire la sympathique série Si la télé m’était contée présentée cet été sur France 3


4) Le jeune spectateur, cible fantasmatique, réelle ou alibi des réalisateurs de programmes historiques.

Une des difficultés de ce chapitre est de déterminer à quoi on fait allusion lorsque l’on parle de jeune spectateur. Pour nous c’est simple, c’est celui qui regarde la télévision et qui est en âge scolaire. Pourtant, même ici et sans faire allusion à la notion d’usage scolaire et d’usage privé de la télévision, on devrait pouvoir distinguer au moins trois catégories de jeunes spectateurs : celui de l’enseignement primaire, celui de l’enseignement secondaire, celui de l’enseignement universitaire. Et encore, on ne résout pas la question de savoir ce qui distingue le jeune de l’adulte, ni celle de savoir si sa consommation audiovisuelle se distingue vraiment et en permanence de celle de son aîné. Pour la presse ou l’introspection télévisée et pédagogique des années 60-90, le problème se pose peu. On parle d’un jeune mythique, une sorte de « Belge moyen pas adulte » et c’est tout.

D’autre part, la télévision est un média très particulier. Qu’on lise la presse plus ou moins bien pensante, les rares manuels scolaires qui y font allusion, les rapports des quelques commissions pédagogiques, une bonne partie de la littérature qui lui est consacrée ou même, c’est très étonnant, quelques publications internes, on lui reproche en permanence de décerveler son public ou de préférer la facilité à la culture. Si le discours semble contemporain, il est en fait permanent chez nous depuis la fin des années 50. Notons d’ailleurs qu’un discours identique existe pour la radio depuis la fin des années 30 et à propos d’Internet depuis la fin des années 90. Or, c’est totalement faux, par exemple en 2003, un spectateur intéressé et équipé a pu regarder plus de 1400 émissions historiques.

L’autre permanence du discours des bien pensants, des biens éduquants est consacré au jeune, accusé en vrac de n’avoir plus de culture, d’être « bofiste », de ne pas connaître son passé, voire de ne pas être reconnaissant vis-à-vis des générations précédentes. Rappelons que l’argument est assez traditionnel comme le professeur Rosen l’a montré il y a quelques années en reprenant quelques textes de la fin du 18ème siècle qui tiennent les mêmes propos

La rencontre entre les deux arguments prend donc parfois des proportions étonnantes. De nombreuses allusions au jeune spectateur et à la fonction éducative ou récréative de la télévision vont émailler les années 60-90. Plutôt qu’en faire l’inventaire, nous allons nous attacher aux programmes L’ordre nouveau et Léon Degrelle. Face et revers, emblématiques de la question.


4.1) L’ordre nouveau - Léon Degrelle. Face et revers

Léon Degrelle. Face et revers est le remontage en 1988, après la diffusion L’Ordre nouveau  la bombe de wildienne qui a ouvert la porte, d’un programme de Pierre Desaive et Jacques Cogniaux « censuré » en 1977-1978.

La presse et l'ensemble des associations qui ont réagi à L'Ordre nouveau vont ici aussi s'intéresser aux jeunes et plus particulièrement à l'image qu'ils peuvent avoir du passé de leurs aïeux. Ils se préoccupent également d'un hypothétique courant de sympathie des jeunes envers l'idéologie des collaborateurs comme Léon Degrelle. Déjà dans l'avant-propos du livre accompagnant la série, M. De Wilde opportuniste écrit « Pourquoi notre population et surtout notre jeunesse doivent-elles être maintenues dans une telle ignorance de ce qui s'est tramé dans les coulisses de la collaboration ? On en a fait le reproche aux enseignants et aux écoles. C'est détourner la responsabilité des vrais coupables ! Les responsa­bles de cet obscurantisme ce sont nos législateurs qui à une unanimité étonnante, ont jugé que cette histoire souvent peu reluisante il est vrai, devait durant cent ans nous être cachée ». Il prétend donc réaliser ses reportages en partie pour les jeunes, en espérant qu'un maximum d’entre eux les regardent pour qu'ils « comprenne toute l'horreur d'une idéologie basée sur la force ». Je me permets de nuancer très fortement ces motivations.

Dans une belle unanimité, la presse va elle aussi se préoccuper des jeunes en reprenant docilement une bonne part des propos de Maurice De Wilde. D’abord elle reconnaît une appréhension due à la présence de Léon Degrelle mais après examen, elle est rassurée du peu d'influence qu'il peut encore avoir sur les jeunes en raison essentiellement du côté vieilli de la forme et du fond de ses discours (« Degrelle est un homme des années 30 »). Pourtant, certaines associations, qui n’aiment pas pour diverses raisons l’émission de Maurice De Wilde, vont mener une campagne contre elle en usant abondamment de l’argument des jeunes : les prisonniers de guerre officiers ou non, les associations d’officiers en retraite, les léopoldistes.

La presse va alors embrayer sur la notion d’ignorance de leur passé par les jeunes comme par exemple les rédacteurs du Vif, qui ont saisi l'occasion de la diffusion de l'Ordre nouveau pour inviter à un débat Maurice De Wilde, Jacques Cogniaux et sept jeunes de 17 à 20 ans. La balle est reprise au bond par les anciens prisonniers de guerre comme d’habitude très violents dans leurs propos « Qu'est-ce qu'ils foutent à l'école, se demanderont peut-être les lecteurs qui connurent la sombre période de l'occupation ... Réponse : ce qu'ils peuvent. Car, en fait, cette méconnaissance doit-elle réellement nous étonner? A qui la faute ? A ces élèves qu'on dépeint trop vite comme des ilotes, aux profs démobilisés ou incultes ? ». 

Et de nouveau, les rédacteurs rendent l'enseignement responsa­ble de cette situation, sans oublier d’user de l’argument du loup : « Comment adresser des repro­ches à des jeunes qui n'en peuvent pas ? Des jeunes abreuvés de crise de chômage, de no future et qui comprennent mal, parce qu'ils n'ont pas reçu le moindre élément d'explication <…> Certains seraient prêts, ne l'ignorons pas, à suivre l'un ou l'autre aventurier qui leur promettrait un grand nettoyage, du travail et de l'ordre. Mais, la majorité d'entre eux, qui voudraient savoir, se heurtent à des cours d'histoire mal faits, abscons, barbants dans leur abstraction <…> Ils attendent qu'on leur explique d'abord ce qu'ils sont en train de vivre et ils ne voient pas quel lien existe entre leur situation et ce passé qui les a engendrés mais qu'ils jugent à tout jamais révolu ».

Cette opinion sur le jeune spectateur n’est pas toujours partagée à l’exemple de Jacques Hislaire dans La Libre Belgique pour qui « Le contexte interna­tional des années 30 est connu, même par la jeune génération qui s'intéresse à cette époque troublée et fascinante, qui a déjà vu ces images à la TV, les films de Fassbinder et qui a lu Le Troisième Reich de Shirer en livre de poche. Hitler connaît-pas, ce n'est pas vrai ». Vers l'avenir va même plus loin : « Les émissions sur l'ordre nouveau et sur Degrelle ont connu un énorme succès <...> Pas seulement chez un public contemporain des événements, mais aussi chez les jeunes désireux de comprendre l'époque actuelle».

Donc, pour les uns le jeune ignore le passé et un programme comme Degrelle. Face et revers fait de la publicité au rexisme, pour les autres, le jeune spectateur est au courant de ses dérives fascistes et ne peut être influençable.

En fait, les chiffres têtus fournis par le bureau d’étude de la RTBF vont mettre tout le monde d’accord et rendre futiles toutes ces spéculations. D'abord quand on analyse l'audience réelle par catégo­ries d'âge de L’Ordre nouveau ou de Degrelle. Face et revers, on est frappé par le faible taux de jeunes téléspectateurs (à peine 3 %) contre le taux élevé de personnes plus âgées (vers 25 %) qui regardent l'émission. C'est donc essentiellement la catégorie des 55 ans et plus qui s’intéresse au travail. Nés au plus tard en 1926, ils ont vécu sinon participé aux événements décrits. Par contre, les jeunes nés entre 1965 et 1975 sont fort peu concernés, à peine par les récits de leurs grands-parents. Entre les deux extrêmes, la catégorie des 25-54 ans voit son taux d'audience augmenter proportionnellement avec l'âge. S'ils ne sont pas, surtout pour les plus jeunes, personnelle­ment impliqués dans les événements relatés, ils les ont vécu dans les souvenirs de leurs parents. Ils ont pu vouloir les comprendre en regardant une émission sur cette période.


4.2) La question du conflit entre générations

Ce qui apparaît ici en filigrane, c’est sans doute la raison essentielle de cette cristallisation autour des jeunes, des reproches que certains milieux font à la télévision : c’est bêtement un conflit entre les générations. La génération qui parle et qui écrit dans les années 1980-2000, qui a pourtant été élevée avec elle, est nostalgique de cette télévision mythique des années 60. Ce qui est amusant, c’est qu’elle reprend les mêmes arguments que ses aînés, alors qu’elle était elle-même l’objet des reproches de la génération qui parle et qui écrit dans les années 60.

4.2.1) Le premier conflit de générations

Ce conflit de générations apparaît fort bien entre 1964 et 1968 à l’occasion de deux programmes capitaux dans l’historiographie télévisée belge : 14-18. Le journal de la Grande guerre et Vingt-cinq ans après.

Nous avons déjà parlé de 14-18 et nous n’y reviendrons pas mais remarquons à cette occasion une constante : la majorité des commentaires sur les programmes historiques étudiant les deux conflits sont de ce type et nous permettent de déterminer les deux populations cibles avouées, sinon « alibis » : les anciens et les jeunes générations sensées être ignorantes des évènements.

L’Entre-deux-guerres - Vingt-cinq ans après est l’occasion de réflexions sur les intérêts divergents des générations mais cette fois sur le second conflit mondial. Les arguments sont identiques avec peut-être en plus, l’argument politique.

René Hénoumont pose les bornes du problème « La libération, c’est à la fois proche et lointain, selon les générations. Pour la mienne, j’avais 20 ans en 1944, la première semaine de septembre de cette année-là compte parmi les plus importantes de ma vie. Pour ma fille qui a 23 ans, c’est si l’on veut aussi lointain que la guerre de 70 ou de n’importe quel autre événement qui appartient au monde des adultes ». D’ailleurs, pour justifier son travail face aux critiques naissantes, Philippe Dasnoy reprend presque mots pour mots les arguments utilisés par Henri Mordant cinq ans auparavant pour 14-18 : « Il y a ceux <…> qui ont été mêlés intimement à l’événement. Pour eux, nous serons forcément incomplet <…> Tenir le public pendant deux heures, c’est peut-être même trop. D’autant plus que nous avons affaire à deux publics bien distincts. Celui qui a connu de près ou de loin l’événement, qui a des souvenirs. Pour ceux-là nous ne serons jamais assez complets. Par contre, pour eux, nous serons plus vite émouvants. Mais il y a ceux qui ont moins de vingt-cinq ans aujourd’hui. Pour eux, c’est de l’histoire. Comme la Guerre de cent ans ou la Berezina ».

C’est ce que n’a pas compris Pierre Davister dans Spécial pour qui l’histoire a bon dos et qui rend responsable une émission qu’il n’aime pas d’un conflit générationnel sur le souvenir de la Seconde guerre qu’il ne maîtrise pas : « je songe, pour ma part, à ces jeunes auxquels nous avons bassiné les oreilles avec nos exploits de résistants et le détail du climat de ces années affreuses vécues, dans la clandestinité ou dans l’occupation sous la botte des nazis. Que doivent-ils penser aujourd’hui, ces jeunes, après l’émission bâclée, cochonnée de la RTB ? Je les entends d’ici. C’est cela LEUR occupation, LEUR libération, LEUR martyr. J’en rougis ». Malheureusement il est difficile d’attribuer beaucoup d’importance à ces propos très isolés, dans une  périodique souvent hostile jusqu’à la bêtise à la RTB.

Au-delà même de l’histoire à la télévision, ces propos sur les jeunes générations montrent aussi une évolution dans la pensée des auteurs d’articles. Ils sont toujours en activité et dans la force de l’âge de leur profession, mais se rendent compte que leurs enfants sont devenus des adultes avec une pleine conscience et des valeurs propres construites sur des référents historiques différents. C’est Chez nous, publication plutôt familiale, qui l’explique le mieux : « Vingt-cinq ans déjà ! Beaucoup de ceux qui ont vécu ces évènements alors qu’ils étaient célibataires sont peut-être grands-parents aujourd’hui. Un homme de trente ans se souvient à peine de ce que fut ce moment tant attendu. Dame, il n’avait que cinq ans. Ces évocations sont généralement bien accueillies <…> Quant à tous ceux qui n’existaient pas encore à l’époque, rien ne pourra jamais, ni le film, ni le témoignage, leur restituer ce que fut la joie intense, incomparable, que fut cette libération venant après tant d’angoisse, de sacrifices, de privations. Mais l’émission de ce soir aura au moins l’avantage d’en être un reflet ».

C’est comme on l’a déjà dit au début du chapitre, exactement en 1969-1970, ce que vivra la génération suivante à propos de Degrelle. Face et revers

Mais ici, quelques extraits du programme poussent la controverse plus loin que ce simple conflit de générations. Sans atteindre ce que l’Allemagne connaît au même moment, ils mettent les générations plus anciennes en difficulté morale face aux plus jeunes en les obligeant à assumer leur passé comme Léon Thorrens dans Le Ligueur : « Ce fut un bon morceau mais je n’ai pas beaucoup aimé, par exemple, les analyses sceptiques et superficielles de l’historien de service sur le terrible problème de la répression. Par contre, les quelques séquences montrant Degrelle parlant à ses fans, après ses héroïsmes de Tcherkassy, était un document percutant. Traumatisant aussi. Je regardais cette émission en compagnie de mes fils, et j’avais honte devant eux. C’était ça, Degrelle ?. Hé oui, mes enfants, c’était ça ! Ce pantin, ce tonneau vide, ce mauvais cabot ».

Enfin signalons l’excellente couverture par la télévision, en Belgique comme en France, des anniversaires de mai 68 et ceci dès 1978. Une vingtaine de programmes en 1978 comme en 1988, une trentaine de programmes en 1998.


4.3) La France

Notons que la France vit ce problème plus tard que la Belgique. Si Les Dossiers de l’écran satisfont l’intérêt croissant pour la période de guerre avec 43% des programmes, cette nouvelle génération veut surtout qu’on lui parle de l’après-guerre, nettement plus perturbée outre-Quiévrain que chez nous, à l’image du jeu Trois fois 20 ans sur la troisième chaîne où deux équipes de trois générations s’affrontent, parfois au sens propre sur leurs souvenirs. Rappelons que la France télévisée de 1973, n’a pas encore plongé avec délice dans les joies de l’auto flagellation à propos de l’étude de la collaboration, des complicités d’Etat et des petites compromissions quotidiennes des périodes d’occupation ; que Le Chagrin et la pitié n’est toujours pas passé sur les chaînes françaises ; que du côté de la fiction on n’est encore qu’à deux ans de Lacombe Lucien et que jusqu’à présent, à part un Mademoiselle liberté sur Céline sur ORTF3 on parle très peu de Vichy et des collaborateurs.


4.4) Relativisons

Enfin, avant d’aller plus loin, pour relativiser nos propos, nous vous proposons deux visions de la télévision. La première dans les années 60, la seconde aujourd’hui.

D’abord, une vision idyllique de la télévision des années 60, de celle que la majorité des plus jeunes regardait, publiée en 1997 dans la Libre Belgique à l’occasion de la série Le Grenier cathodique : « Les spécialistes de la télévision affirment que Thierry la fronde n’arrive pas à la cheville de Robin des bois. Peut-être bien. Mais <…> on s’en moquait bien, nous la bande du ’rouge lion’, de savoir ce qu’en penseraient les intellectuels trente ans plus tard ». Ce court article publié en 1997 est intéressant pour comprendre, au-delà de la nostalgie, les rapports entre le jeune public en vacances et la télévision dans les années 60 : une vie organisée autour de l’horaire du feuilleton, la lente percée de la télévision dans les villages, le déplacement chez le voisin « qui a un poste », les jeux d’enfants construits à partir de l’histoire qu’on venait de voir à la télévision qui remplace la littérature pour la jeunesse et  évidemment la fin de tout cela avec l’arrivée de l’adolescence.

Ensuite, une image expresse de la perception des programmes documentaires par des étudiants contemporains.

Le sondage a eu lieu durant la deuxième semaine de septembre 2004 auprès de 200 étudiants de 4ème, 5ème et 6ème générale du secondaire (14 à 18 ans), plutôt cultivés. Il leur était demandé, sans préparation, de donner le titre même approximatif des 5 derniers documentaires historiques regardés et des 5 derniers films historiques ou historicisants regardés. Par comparaison, on leur demande également de citer les cinq derniers documents généraux et les cinq derniers films généraux demandés.

Les résultats ne sont pas surprenants mais peu glorieux pour l’histoire télévisée qu’elle soit sous forme documentaire ou sous forme commémorative.

Aucun étudiant ne peut citer, même approximativement 4 ou 5 documentaires. Un tiers en cite 2 à 3, un tiers un seul et un tiers aucun. Un tiers des titres cités sont très approximatifs. C’est vraiment l’histoire documentaire qui est victime du désintérêt car par comparaison, 1 tiers des étudiants peut citer 1 à 3 documentaires généraux et deux tiers 4 à 5. Les proportions sont identiques pour l’histoire fictionnisée. Notons que quatre cinquièmes des étudiants citent cinq films généraux.

Enfin, les documentaires historiques cités sont majoritairement, soit liés à l’actualité commémorative du printemps été (60ème anniversaire du débarquement, de la libération de Paris, de la libération de la Belgique), soit liés à la simple actualité (Jeux olympiques, Bush et 11 septembre), soit des déclinaisons historiques de C’est pas sorcier. Les fictions citées sont essentiellement les films passés à la télévision ou succès de l’édition DVD des six derniers mois.

Notons que les étudiants classent dans la catégorie « documents historiques » des programmes comme Fahrenheit 9/11, Place royale ou Elephant de Gus Van Sant. Par contre, apparaissent quelques document atypiques comme Misère en Borinage ou Les Enfants du Borinage. Lettre à Henri Storck de Patrick Jean, réminiscence du projet « Mois du documentaire » qui a eu lieu à l’école l’an dernier, preuve de l’intérêt de montrer aux étudiants, spectateurs captifs par essence, des émissions qu’ils ne regarderont certainement pas par eux-mêmes.


5) Inédits, un programme de montage d’archives sous-exploité : vers la création d’une « conscience régionale » par l’archive filmée

Pourquoi parler ici d’Inédits qui disparaîtra certainement des antennes en même temps que son auteur prendra sa retraite.

D’abord, après un peu plus de 20 ans, le magazine peut être considéré comme à l’origine d’une certaine prise de conscience régionale par l’archive filmée. En compilant des images amateurs, elle montre une Wallonie, parfois un Bruxelles, très largement oublié, qui sort de l’image ouvriériste traditionnelle pour présenter une petite classe moyenne très largement ignorée par les études historiques. La série compléterait bien les archives du fonds d’histoire du mouvement wallon ou tiendrait bien à côté des stéréoscopes du Musée de la vie wallonne.

Ensuite, même si cette extraordinaire collection d’archives a inspiré d’autres programmes et a suscité une collaboration internationale, elle est très largement sous-exploitée dans les milieux universitaires mais surtout dans les écoles secondaires.

Or, en plus de son indéniable qualité en histoire régionale, en histoire sociale et en histoire culturelle, la série dispose de beaucoup d’atouts pour son exploitation en classe : un grand nombre d’épisodes qui permettent à chacun de trouver son bonheur familial dans un éventuel travail, des séquences relativement courtes, un excellent terrain d’application de la critique historique à la fois sur le programme en général et sur son contenu en particulier, une lecture des images qui semble demander dans un premier temps peu de pré requis à l’élève mais qui nécessite ensuite la mise en place d’une très large explication et enfin, et ce n’est pas son moindre avantage, elle est d’une très grande facilité d’accès car c’est la seule collection d’archives brutes de cette taille normalement disponible à la Médiathèque.


5.1) Les ancêtres

Inédits n’est pas le premier programme de la RTBF qui développe une certaine conscience régionale. Sans parler de Ce pays est à vous et des programmes dialectaux, on peut en citer d’autres. Entre chien et loups (1960-1960) de René Hénoumont et Jean Delire, est une initiative originale  mêlant enquête télévisée de type Neuf millions à la petite histoire qui « mène une enquête à reculons dans le temps, auprès des gens de chez nous, dans certaines régions où se perpétue la tradition orale », c’est-à-dire une sorte de Caméra explore le temps mais qui aurait emprunté non pas le ton de la fiction, mais celui du reportage, du document d’actualité. De mémoire d’homme, de Robert Mayence et Christian Druitte (1974-1978) pour la RTBF-Charleroi qui évoque les souvenirs de personnalités qui ont été les témoins privilégiés de leur temps  « dans un dialogue avec des amis réunis pour la circonstance ». Enfin Le drame du bois du Cazier (1976) toujours de Robert Mayence et Christian Druitte pour la RTBF-Charleroi, un récit détaillé complété par une enquête qui, en relatant un événement national qui touche à la fois à l’histoire économique, industrielle et culturelle, participe aux mythes fondateurs d’une région. A chacun son borinage  (1979) de Wieslaw Hudon, un portrait d’Henri Storck avec l’aide des mineurs de Borinage 45 ans après qui retrace également l’histoire de ce documentaire à forte valeur mythique constitutive d’une mythologie ouvriériste du documentaire belge voire de la gauche wallonne. Comme la BRT l’avait fait pour la Flandre une bonne décennie avant elle, la RTBF programme ici des évocations qui exaltent plus ou moins fort l’identité wallonne


5.2) Inédits

Inédits est la série documentaire la plus longue de la télévision belge avec environ 180 numéros entre 1980 et 2003 contre 127 épisodes pour 14-18 entre 1964 et 1968 ou 131 épisodes pour Jours de guerre et extensions entre 1989 et 1995 (Histoire parallèle sur La sept – Arte – FR3 atteint 630 épisodes entre 1989 et 2001)

Lancée quelques années avant que le genre ne devienne à la mode par André Huet, un journaliste visionnaire (et Marc Préyat jusqu’en 1986), la série est produite par Maurice Chaidron et réalisée par Alain Cops jusqu’en 1984, puis par une succession d’autres réalisateurs comme Jacques Van der Heyden.

La formule est a priori fort simple. C’est une compilation de films familiaux, essentiellement des années 30-50, envoyé par des particuliers, commentés en voix off par André Huet et par des amateurs très contents de voir leurs archives diffusées à la télévision et qui ne reçoivent souvent en contre partie qu’une copie sur support VHS de leur films.

Mais au-delà de cette formule, c’est sans doute l’émission historique la plus intéressante des 25 dernières années car, au contraire d’autres séries qui ressassent de vieilles archives et sont historiographiquement peu innovantes, on met ici au jour une part importante et inconnue du patrimoine culturel des classes moyennes belges. Malheureusement, c’est aussi son défaut car on n’y montre que ceux qui pouvaient se payer des films et une caméra dans les années 30-50.

Si l’audience stable, ne tourne qu’autour des 10%, l’émission est récompensée deux fois par une antenne de cristal (1982 et 1983). Elle est aussi à l’origine de l’Association européenne Inédits constituée suite à la rencontre internationale Images, mémoire de l’Europe sur les films de famille à Spa en 1989. Son but est « la mise en valeur des documents inédits, réalisés par des non professionnels <…> l’archivage, la recherche, l’utilisation et l’exploitation de ces documents ». En prolongement du colloque, deux programmes sont réalisés pour « révéler quelques unes des initiatives télévisées européennes qui mettaient en valeur la patrimoine représenté par les films d’amateurs témoins du quotidien de leur époque ». L’association produit notamment : Une Guerre inconnue (réalisée par un hollandais, deux Allemands, un Hongrois et André Huet pour la Belgique) et Images, mémoire de l’Europe diffusé simultanément sur Télé 21 et TV5.

Après la RTBF, d’autres chaînes européennes proposent des programmes du même type qu’Inédits souvent inspirés du précédent belge : En 1981, Mémoire de Noël un programme isolé sur Paris sous l’occupation et les Noël dans les rues de la capitale avant 1950. En 1982, Heimweh nach den Tropen une adaptation allemande du programme de la BRT sur « le Congo raconté aux Belges » relatant la vie à l’époque coloniale à partir de films d’archives et de films amateurs et Caugth in time qui présente des documents amateurs tournés entre 1929 et 1930. En 1984, la série 44-84. La Libération. En 1985, The Home movie front sur la Seconde guerre en Angleterre vue par un cameramen amateur. En 1986, la courte série Petite histoire, grande histoire : 1939-1945 réalisée à partir de souvenirs et d’images d’archives personnelles de trois familles belge, française et allemande. En 1988, la série Attic archives. En 1989, The Home movie front qui raconte la guerre vue par deux cameramen amateurs Anglais et Allemand, La vie à Cologne entre 1940 et 1946, Avec le Temps et La Vie filmée dans Océanique, une chronique des Français vue par eux-mêmes à travers les films d’amateurs tournés entre 1930 et 1954. En 1991, My private war qui montre des films amateurs tournés par les soldats allemands avec des témoignages de leurs auteurs, La Libération de la France et Je me souviens, qui connaît une postérité jusqu’au tournant du siècle, proche de la série Cinémémo qui tente d’esquisser une histoire quotidienne des européens de 1936 à 1960 à partir d’un montage de films d’amateurs allemands, anglais et français. En 1992, Des Bombes sur Louvain en mars-avril 1944 dans Kroniken, Mémoire de Lure dans Estivales et Volkskino sur l’histoire allemande à travers les documents amateurs. En 1993, Nourriture et agriculture dans Telearchief sur l’alimentation aux Pays-Bas, essentiellement après 1945 et Good morning Mister Hitler un document amateur en couleurs sur l’inauguration en 1939 de l’exposition sur l’art allemand de Munich. En 1994, La Libération du Hainaut par des documents amateurs dans La Libération dans le Hainaut et d’autres encore.


6)
Trois expériences d’usage des archives en classe

Pour l’usage quotidien des archives en classe, nous n’envisagerons ici que la question de la fiction face au documentaire car l’usage de ces derniers sera traité dans la conclusion. Par contre, nous parlerons de deux expériences particulières pratiquée récemment avec mes étudiants : les archives audiovisuelles du Lycée et le mois du documentaire.


6.1) La fiction et le documentaire

Il faut d’abord planter le décor. Notre lycée est un établissement de l’est de Bruxelles installé dans un quartier aisé avec des étudiants pour moitié recrutés dans les 2 km, pour un quart dans les communes immédiatement environnantes et pour un quart parmi les navetteurs du triangle Bruxelles – Wavre – Leuven. L’ambiance générale est extrêmement calme. A l’exception de deux options techniques de transition (socio-éducative et paramédicale), l’ensemble des 800 étudiants est inscrit dans des filières générales (latin-grec, sciences, langues, sciences économiques, mathématiques). L’essentiel des cours d’histoire sont partagés entre cinq professeurs dont trois donnent également de la religion. Votre serviteur donne 16 heures d’histoire, 2 à 4 heures de Communication et audiovisuel et gère le site Internet du Lycée. Nous sommes assez bien équipés : quatre classes entièrement équipées chacune d’une vingtaine de PC reliés par ADSL à Internet avec accessoires annexes (projecteurs), réseau reliant ces classes avec les PC éparpillés ailleurs dans l’école (Secrétariat, salle des professeurs, d’autres classes), quatre salles vidéo classiques assez bien équipées (télévision, magnétoscope, lecteur DVD, rétroprojecteur, projecteur diapositives), un auditoire de 170 places entièrement équipé, un CDD.

Notre attitude face au documentaire est particulière en raison de ma double casquette : enseignant donc très sensible dans ma thèse à l’usage pédagogique des archives mais aussi rédigeant une thèse sur les programmes historiques à la télévision donc très sensible en classe à la production du genre. J’ai donc beaucoup pratiqué l’usage du documentaire en classe. Mais, outre les « difficultés techniques » que nous survolerons dans la conclusion, je me suis rapidement rendu compte que peu de programmes sont réellement utilisables, essentiellement parce qu’en classe, avec deux heures semaine, il faut être à la fois simple et percutant (plutôt l’homme politique au JT que dans son programme de campagne). D’autre part, peu d’archives de la télévision entrent réellement et utilement dans nos cours, sauf si nous reprenons bêtement les pastilles du JT ou l’un ou l’autre débat. En effet, depuis une vingtaine d’années, sans doute par facilité, les réalisateurs de programmes historiques abandonnent souvent la rigueur chronologique ou critique pour le sentiment, l’impression, le « portrait par touche impressionniste », voir le docudrame.

Prenons l’exemple de la Première guerre. Si vous voulez trouver une émission qui colle réellement à votre programme, il faut utiliser En désespoir de cause, présentée par Pierre Miquel en 1984 et qui replace avec talent les origines de la guerre dans un faisceau convergent de petites causes cumulées. Malheureusement, 20 ans dans les archives télévisées, ça se voit. Alors, si vous voulez un peu moderniser votre propos, vous êtes victime de la mode et vous tombez sur une collection d’émissions certes de bonne facture, mais essentiellement préoccupées par la souffrance du soldat ou les fusillés pour l’exemple. Or pour montrer cela aux élèves la lecture de quelques lettres extraites de Parole de Poilus, un livre d’ailleurs issu d’une émission de France Inter, suffit largement.

Ceci dit, si on veut simplement profiter de l’effet illustratif, exemplatif ou ludique de l’archive télévisée et du documentaire, on peut montrer n’importe quoi mais nous ne sommes plus dans l’usage pédagogique des archives.

Reste donc l’usage de la fiction, d’ailleurs à la mode si on en croit la multiplication des docudrames unanimement appréciés comme La destruction de Pompéi, La tranchée ou même Champions d’Olympie. Qu’elle soit cinématographique ou télévisée, elle offre des avantages dont le moindre n’est pas celui de pouvoir fournir un bon terrain pour la pratique de la critique historique.

Par exemple, si on doit illustrer quelles que soient les époques la notion d’occupation, de résistance avec toutes ses nuances chronologiques ou de collaboration, on peut penser aux archives télévisées avec l’un des nombreux documentaires diffusés depuis quarante ans. Malheureusement, peu d’entre eux sont utilisables car ils sont presque impossible à obtenir comme Résistance de Jacques Cogniaux en 1974, trop long comme La Collaboration de Maurice De Wilde en 1984-1985, trop pointus comme L’Orchestre rouge de Jacques Cogniaux, trop politiquement univoque comme 18-20 Avenue de Stalingrad, trop vieux comme Au cœur de l’orage de Le Chanois, trop centrée sur un personnage aujourd’hui oublié comme Un moment dans la vie de William Ugeux), voire cédant trop à une thèse étrange souvent « limite » comme Marcourt la mémoire meurtrie.

Si on excepte alors la série 44-84. La libération, qui s’apparente beaucoup à Inédits et qui peut être utilisable dans ce sens, il ne nous reste alors que la fiction. L’un des avantages de la fiction est d’offrir un travail simplifié qui va à l’essentiel, en raison de la nécessité dramatique du genre. Ici, les archives télévisées fictionnelles peuvent nous venir en aide.

Prenez par exemple le feuilleton V (Visiteurs mais aussi victoire) produit en 1983-1985 par la NBC. C’est sans doute la fiction la plus apte à nous aider à faire comprendre rapidement et plaisamment, le phénomène d’occupation, de naissance et développement de la résistance mais aussi de la collaboration.

L’histoire est très simple : des visiteurs d’une autre planète, mais avec une apparence humaine, arrivent sur terre animés semble-t-il de bonnes intentions. Les terriens les accueillent bien d’autant qu’ils sont beaux et nous débarrassent de nos déchets. Mais petit à petit certains terriens (journalistes, scientifiques) se rendent compte de leur vraie nature (des lézards) et de leurs vraies intentions (pomper l’eau de la terre et manger les humains). Ils vont organiser la résistance. Au delà d’une science-fiction un peu fauchée qui n’a qu’une importance secondaire, il s’agit évidemment ici d’une parabole.

L’intérêt essentiel du pilote se trouve dans la description du processus d’occupation et de « résistance/collaboration » souvent mieux montré que dans les fictions se passant à l’époque de la Deuxième guerre. Et ce n’est pas un hasard car le feuilleton est en fait la récupération d’un projet antérieur de Kenneth Johnson, dont la famille fut victime des nazis, qui imaginait la prise de pouvoir par un régime néo-fasciste au sein même des Etats-Unis, projet refusé « pour ne froisser personne ». Le pilote est d’ailleurs dédicacé « à tous les héros de la résistance passée, présente et future ». Par contre, et c’est l’occasion d’un bel exercice de critique historique, les personnages sont fort typés et présentent un bel échantillonnage de la population américaine, y compris le délinquant s’engageant par vengeance familiale, mais aussi dans un processus de rédemption, dans la résistance .


6.2) Les archives patrimoniales du lycée : Inédits à la maison

Nous sommes ici face à deux types d’archives : les  enregistrements privés de tous types mais ressemblant à ce que recherche un programme comme Inédits et les séquences télévisées où l’école apparaît, c’est à dire des archives télévisées au sens strict.

L’intérêt pour nos archives audiovisuelles s’inscrit chez nous dans une recherche documentaire plus vaste. En 1999, le lycée fête son quarantième anniversaire. A cette occasion, outre les cérémonies traditionnelles, on se rend compte que jusque là les archives « non légales » de l’école ont été négligées. De plus, pour impliquer les étudiants dans le cours j’ai décidé de produire le plus souvent possible, une publication ou un projet qui serait l’application pratique de ce qui a été vu au cours (réussite : Histoire de l’école, manuel scolaire sur cd-rom, Mois du documentaire – échec : inventaire et analyse des documentaires de l’année – projet : utopie et projet historique dans la paralittérature).

Les deux intentions se rencontrent et aboutissent : recherche d’archives classiques chez nous et chez le PO, compilation d’archives iconographiques trouvées essentiellement chez les anciens avec numérisation des 8-9000 photos, compilation, conservation et exposition d’objet reflet de l’histoire de l’école, compilation et conservation des archives audiovisuelles, publication d’un livre accompagné d’un CD-Rom. En ce qui concerne les archives audio-visuelles, nous avons identifié et majoritairement compilé et transféré sur un support moderne, pour la période 1960-2004 : 73 documents (36 vidéogrammes, 15 audiogrammes, 11 émissions de télévision, 7 films 8 mm, 3 émissions de radio et 1 film 16 mm).

C’est ce dernier qui est exploité aujourd’hui en classe. Le film de 16 mm est un exercice de fin d’étude d’étudiants de l’IAD qui présente une journée type au lycée en 1968-1969 avec une courte séquence rétrospective. Après avoir rappelé aux étudiants l’essentiel de l’histoire de notre école, « walen buiten » compris, on leur diffuse le reportage commenté comme pourrait le faire Inédits. Passée la surprise devant l’aspect plan-plan du commentaire, c’est la stupeur amusée face à l’image d’une école qui est là leur, mais qui est aussi tellement différente. A partir de ce documentaire, on met en parallèle l’organisation scolaire qu’ils connaissent avec celle d’avant les réformes du début des années 70. A partir de ces différences et d’un rapide cours d’architecture utilitaire dans le quartier et dans l’école (de la pyramide au centre de notre cour de récréation, il suffit de pivoter pour voir quatre époques de bâtiments, reflets des années 1960-2000), on peut expliquer toute l’évolution sociale, technique, institutionnelle, économique et surtout culturelle de la Belgique de l’après-guerre.

Quels rapports avec les archives télévisées ? D’abord, si nous avons la chance de pouvoir disposer d’un document propre pour cet exercice, ce n’est pas toujours le cas partout. Or dans ce cas, un enseignant peut très utilement piocher dans les très riches archives d’Inédits, programme qui fait son miel de documents de ce genre. Enfin, l’exercice a permis de se rendre compte que pour une école qui a, en plus de sa vocation pédagogique, des aspirations patrimoniales, les archives de la télévision, privée ou publique, mais aussi de la radio peuvent parfois fournir des indications utiles sur son histoire. Et nous ne parlons ici que des allusions directes sans envisager les archives sur l’école en général depuis la fin des années 50 dont dispose la télévision belge et qui sont très largement sous-exploitées (évolution de la fonction de l’enseignant, évolution de la philosophie de l’éducation, rapports éducation – politique, conflits sociaux, …).


6.3) Le mois du documentaire : la part du lion à la télévision

Comme nous l’avons déjà dit, l’usage dans le cours d’histoire, des archives télévisées en général et du documentaire historique en particulier, est parfois assez difficile. D’autre part, le sondage express réalisé en classe en septembre dont nous avons parlé plus haut, montre que pour le documentaire, comme certainement pour les autres programmes télévisés, la mémoire du spectateur est extrêmement volatile.

L’idée était donc de montrer aux étudiants, en dehors du cadre du cours d’histoire, une sélection de documentaires, en partie issue de la tradition belge d’avant-guerre et en partie issue du patrimoine télévisé. Je ne vous cache pas que la proposition d’activité parascolaire sur le sujet a suscité une réaction proche du néant. C’est pourquoi, nous avons eu l’idée de profiter d’une occasion extérieure pour présenter ces documentaires de façon mi-libre, mi-obligatoire.

En partenariat avec la bibliothèque, les étudiants de rétho et d’audiovisuel et communication, nous avons organisé un cycle de projections ayant pour thème : le documentaire social en Belgique. Mais en fait, ce cycle s'inscrit dans le plus vaste projet du « Mois du film documentaire ». Cette opération française est destinée à mettre en valeur le film documentaire dans les réseaux de diffusion culturelle (bibliothèques, établissements culturels et éducatifs, salles de cinéma). Le Mois du film documentaire, coordonné par l'association « Images en bibliothèques », poursuit « un triple objectif : favoriser la découverte d'oeuvres de qualité par un public plus large et générer un dialogue entre auteurs, réalisateurs et spectateurs, fédérer l'action des différents partenaires culturels qui travaillent dans les régions à la diffusion du film documentaire, valoriser le travail accompli sur le long terme par de très nombreux lieux de diffusion culturelle pour la constitution de collections permanentes diversifiées ».

Nous avons choisi le documentaire social car nous voulions distinguer l'une des  spécialités de notre pays. En effet, dans une impressionnante production documentaire de tous types, la Belgique a généré, des origines à aujourd'hui, des maîtres du genre.

Pratiquement, outre un cours théorique de 2 à 4 heures selon les niveaux donné en classe, nous présentons ces oeuvres accompagnées d'une introduction et d'un débat, en partie en bibliothèque dans le cadre des « midis de la bibliothèque », en partie dans l'auditorium du lycée pour un plus large public, en partie en classe pour des groupes plus restreints.

Le projet définitif s’articule en quatre cycles : Les années 30-40 ou les classiques avec Misère au Borinage (Storck-Ivens – 1934), Le patron est mort (Storck – 1938). Les années 60 ou les documentaires de lutte avec Combattre pour nos droits (Buyens – 1962), La gaufrerie de Moustier, Les Femmes machines (Thunissen - 1966 et 1996), La Bataille des Marolles  (Aujourd'hui) (Péché – 1969). Les années 70-80 ou les documentaires constats avec Une Saisie (Faits divers) (Péché-de Streel – 1975), Du beurre dans les tartines (Bonmariage – 1980). Les années 90 ou les documentaires désabusés « avant l'évasion » avec Allô police (Au nom de la Loi) (Bonmariage – 1987), Marchiennes de vie (Olivier – 1994), Au fond Dutroux (Olivier - 1995-1997), Les enfants du Borinage : lettre à Henri Storck (Jean – 1999)

L’accueil fut surprenant. Si aucun élève n’avait jamais entendu parler des documentaires présentés, ni de leurs auteurs, à part peut-être chez quelques-uns Henri Storck et Manu Bonmariage, ils ont suivi les cours avec une bienveillante attention et les documentaires avec intérêt et parfois avec enthousiasme. Pourtant, une bonne part des documents présentés ont été déjà diffusés ou rediffusés sur les chaînes de télévision.

Mais le plus surprenant ne vient pas des étudiants de 4-6ème (15-18 ans) mais bien des plus petits, extrêmement impressionnés par les documentaires des années 90 qui ont été pour eux la découverte d’une réalité sociale qu’ils n’appréhendaient pas, justifiant par là l’intérêt de tels travaux. En effet, les « Midis de la bibliothèque » ont attiré surtout un public de jeunes adolescents de 1ère et 2ème année qui pour certains ont découvert un genre qu’ils ignoraient et pour d’autres, se sont passionnés et ont regretté la brièveté de l’opération.

L’expérience fut tellement positive, marketing interne compris, qu’elle sera renouvelée cette année scolaire avec comme thème Le documentaire d’entreprise en Belgique.


7) Conclusions : l’usage des archives télévisées dans l’enseignement secondaire

Reste maintenant la question de l’usage pédagogique de ces documentaires. Comment utiliser ces documentaires, ces archives particulières de la télévision dans le cadre d’un cours.

Même si nous le pratiquons régulièrement, nous sommes parfois dubitatif quant à l’apport de l’usage des archives télévisées dans l’enseignement secondaire, particulièrement dans le cours d’histoire. Si cette pratique est souhaitable (ne fut-ce que pour faire connaître l’école belge du documentaire), un certain nombre d’obstacles rendent l’usage des archives télévisées à l’école difficile.

D’abord, le matériel nécessaire. Le cas idéal d’un professeur d’histoire dans un local dédié et équipé est plutôt rare car dans la majorité des cas, les locaux audiovisuels sont en multi utilisation et doivent être réservés longtemps à l’avance. Si cette situation s’explique par l’histoire de l’école et son organisation traditionnelle, elle enlève toute spontanéité dans l’usage de ce genre d’archive. On ne peut pas montrer « quand la situation l’impose » et on est obligé de proposer aux étudiants une « heure vidéo » de temps en temps, idéalement en introduction ou en conclusion d’une séquence de cours. On privilégie donc d’abord le documentaire à l’archive brute.

Ensuite, la question du choix du documentaire. On a ici l’impression, qui correspond d’ailleurs à la réalité, d’un choix pléthorique. Or à l’usage, on se rend compte que la majorité des documentaires sont difficilement utilisables en classe. Sur mes 20000 enregistrements vidéo (8000 cassettes) et 8500 enregistrements audio (6000 cassettes), seul un demi millier pourraient être utilisables. En effet, même en histoire l’archive télévisée est un produit périssable car l’étudiant comme tout public demande des produits récents. Malheureusement, rien qu’en regardant un documentaire quelques minutes on remarque immédiatement s’il est daté. En dehors de la forme, le fond de l’archive est aussi en cause. On peut difficilement montrer par exemple l’épisode sur La Bataille de l’Atlantique de la série Les Grandes batailles qui ignore l’apport capital du décodage de la machine Enigma par les anglo-américains dans la victoire ou encore montrer le pourtant très pédagogique En désespoir de cause qui ignore évidemment les apports de la recherche historique des années 1990-2000 sur la première guerre revenue à la mode. Même les programmes d’actualité, devenant sources d’archives, sont parfois difficilement utilisables. Si on veut étudier la transformation urbanistique à marche forcée de Bruxelles, outre les programmes nostalgiques sur le Bruxelles d’avant 1956-1958 ou ceux sur l’Exposition universelle, on pense tout de suite comme « source » à La bataille des Marolles de Jean-Jacques Péché diffusé en 1969 dans Aujourd’hui ou comme « travail » à Manhattan transfert ou la destruction d’un quartier diffusé en 1997 dans Les années belges. Or, bien que d’excellente qualité, ils sont tout deux soit incomplets, soit obsolètes. Si La Bataille des Marolles se penche avec compassion sur les victimes des opérations de réhabilitation, elle ne la replace pas dans son contexte plus large de la création d’un centre d’affaire et d’assainissement des vieux quartiers. Par contre, Manhattan transfert le fait mais on sent une nette réticence face au programme de quartier d’affaires qui en 1997 semble bien être bloqué. Or, en sept ans, les travaux ont repris une telle ampleur et le projet est tellement avancé qu’on ne peut que reconnaître son intérêt pour le développement économique de la ville et surtout percevoir sa finalité. Donc, le temps et la thèse du  documentaire ou de l’archive télévisée en rendent leur usage difficile.

Enfin, restent quelques problèmes techniques ou institutionnels. Si la question ne se pose pas avec les archives brutes, le découpage des documentaires rend difficile leur utilisation. Si les 26’ permettent une courte introduction ou une courte exploitation, le format de 52’, le plus courant ne peut pas être vu dans le cadre d’une heure de cours qui fait en théorie 50’ mais pratiquement moins et oblige à un fractionnement ou un élagage parfois hasardeux. L’accès à ces archives est presque impossible pour l’enseignant sauf si elles ont été publiées ou si elles ont fait l’objet d’une convention avec la Médiathèque. Reste donc la vidéothèque personnelle du professeur ou plus rarement la vidéothèque du CDD qui devient rapidement obsolète.

Mais des solutions simples existent qui permettent de bien utiliser un documentaire. Chez nous, l’usage le plus systématique possible de la paire d’heure nous a permis de pouvoir les intégrer dans nos cours, au même titre que d’autres moyens para pédagogiques. Enfin, l’archive télévisée qui peut-être utilisée brute, lors de sa première diffusion ou en enregistrement doit, plus encore que d’autres sources du cours d’histoire être remise dans son contexte, presque comme on le fait pour une caricature. Une autre forme d’usage des archives est leur intégration dans un projet plus large : usage systématique une année complète dans un cours de rétho, festival du film documentaire, recherche d’archives de type Inédits. Nous en avons déjà parlé.

Par contre, l’autre usage des archives télévisées par le monde des chercheurs, des amateurs éclairés et des écoles est tellement évident que j’ai honte de le rappeler. Mais son utilité patrimoniale est capitale. Bien sûr, elles nous renseignent sur la vie du média lui même et sur la vie culturelle des années 50-90 car contrairement à une idée fort répandue mais que je crois totalement fausse, la télévision n’est pas source d’abrutissement. Je suis toujours effaré de lire la liste des invités aux émissions littéraires, culturelles ou même souvent de divertissement. Tout ce que la France ou la Belgique connaît d’écrivains, de peintres, de sculpteurs, de musiciens, d’artistes de variété en tout genre, a fait au moins l’objet d’une séquence télévisée. Et je ne parle même pas ici de la sphère politique, ni bien sûr de l’histoire événementielle qui devient télévisée à partir de la fin des années 50 (même si c’est surtout le caméscope qui a permis de montrer presque tous les faits divers). N’oublions pas non plus que grâce à Inédits et à ses clones, la télévision a également eu un rôle patrimonial pour la période antérieure à sa création. Rien que pour cela, ne pas exploiter les archives télévisées est impensable.

Quelles que soit la formule choisie l’essentiel est de suivre deux des principes de notre métier : pragmatisme et variété.